Semences aux néonicotinoïdes : pas de dérogation possible à l’interdiction de l’UE

La justice européenne a tranché jeudi le fait que les États membres de l’UE n’avaient pas le droit de déroger à l’interdiction européenne des semences traitées aux néonicotinoïdes, y compris dans les circonstances exceptionnelles invoquées notamment pour protéger les betteraves. Onze États de l’UE avaient adopté des « autorisations d’urgence ».

Aucune dérogation n’est possible à l’interdiction européenne des semences traitées aux néonicotinoïdes, y compris dans les circonstances exceptionnelles invoquées pour protéger les betteraves, a tranché jeudi la justice de l’UE, compromettant les « autorisations d’urgence » octroyées par plusieurs pays dont la France. L’Union européenne a interdit depuis 2018 l’usage en plein champ, pour toutes les cultures, de trois néonicotinoïdes (clothianidine, thiaméthoxame et imidaclopride), accusés d’accélérer le déclin massif des colonies d’abeilles.

Des « autorisations d’urgence » adoptées par 11 États de l’UE
Pour autant, 11 États membres de l’UE ont adopté des « autorisations d’urgence » pour faire face à la baisse de leurs rendements face aux maladies, dont la Belgique et la France – qui s’apprêtait à renouveler sa dérogation pour la troisième année. Saisie du cas de six dérogations adoptées à l’automne 2018 par la Belgique, concernant notamment les semences, la Cour de justice de l’UE (CJUE) les a jugées illégales.

Certes, une disposition permet aux Etats membres d’autoriser de façon dérogatoire et temporaire l’usage de pesticides contenant des substances bannies dans l’UE, « dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu’une menace compromettant la production végétale ou les écosystèmes ne peut être maîtrisée par d’autres moyens raisonnables ». Mais cette disposition « ne permet pas de déroger aux réglementations visant expressément à interdire la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide de tels produits », juge la Cour, dont les arrêts s’imposent aux juridictions des Vingt-Sept.

Privilégier les méthodes insecticides « à faible apport en pesticides »
Les ONG ayant saisi la justice faisaient valoir que ces néonicotinoïdes « sont utilisés de manière croissante à travers la technique de l’enrobage des semences » et, « au lieu d’être pulvérisés sur les cultures, ils sont donc préventivement appliqués sur les semences avant l’ensemencement, sans égard à la présence avérée ou non des insectes qu’ils visent à éliminer ».

Or, les Etats membres sont tenus de privilégier les méthodes insecticides « à faible apport en pesticides », voire « non chimiques » quand c’est possible, et à recourir aux « pratiques et produits présentant le risque le plus faible pour la santé humaine et l’environnement parmi ceux disponibles », insiste la Cour.

Le ministre de l’Agriculture était favorable à une nouvelle dérogation
En France, le Parlement avait autorisé fin 2020 le retour temporaire des néonicotinoïdes, pour voler au secours de la filière betteravière dont les rendements avaient été drastiquement réduits par la jaunisse, une maladie transmise par les pucerons verts. La loi précisait que les dérogations ne pourraient être accordées, jusqu’en juillet 2023, que pour les semences de betterave sucrière. Le ministre français de l’Agriculture Marc Fesneau s’était dit en décembre favorable à une nouvelle dérogation, après celles de 2021 et de 2022, « pour lutter efficacement » contre la prolifération des pucerons verts « en attente de solutions alternatives ».

En Allemagne, des dérogations pour l’usage des néonicotinoïdes ont été accordées sur environ un tiers des surfaces betteravières en 2021, selon la fédération du secteur. Sur 14 pesticides interdits par Bruxelles, 236 dérogations ont été adoptées à travers l’UE ces quatre dernières années, la moitié concernant des néonicotinoïdes, sans que les Etats n’en justifient la nécessité, estime l’association PAN Europe, co-requérante devant la CJUE. « La CJUE établit clairement que les substances interdites dans l’UE pour raisons sanitaires ou environnementales ne peuvent pas être réintroduites de manière détournée au niveau des Etats, une pratique devenue courante », observe l’avocat de l’ONG Antoine Bailleux.

« Un grand jour pour les pollinisateurs en Europe »
Ces dérogations « ne présentent pas d’analyse sur le caractère exceptionnel de la situation rencontrée et les alternatives chimiques et non-chimiques existent bel et bien », a réagi jeudi la députée belge écologiste Séverine de Laveleye. Le directeur de PAN Europe Martin Dermine a salué « un grand jour pour les pollinisateurs en Europe », qui « rappelle que le droit doit primer sur les intérêts de l’industrie des pesticides et des lobbies de l’agri-business ».

Même satisfaction, en France, de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), qui a annoncé dans la foulée ne pas participer à la réunion vendredi du Conseil français de surveillance des néonicotinoïdes, « pour ne pas se rendre complice d’une décision contraire au droit ». L’ONG Agir pour l’environnement et le syndicat Confédération paysanne avaient récemment claqué la porte de ce conseil, estimant que « le risque de reprise de la diffusion du virus de la jaunisse est quasi-inexistant » pour la saison 2023 et ne pouvait donc pas justifier une nouvelle dérogation.

AFP

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