Sultan al-Jaber, un président de COP avec les mains dans le pétrole

C’est un choix qui fait beaucoup parler. La nomination de Sultan al-Jaber à la présidence de la COP28 et qui se tiendra en décembre 2023 aux Émirats arabes unis. À la COP27 en Égypte, les ONG dénonçaient déjà la surreprésentation de l’industrie des énergies fossiles et des pays producteurs. Le président de cette COP28 n’est autre que le ministre de l’Industrie émirien, mais surtout PDG d’une grande compagnie pétrolière.

C’est un tollé au sein des organisations environnementales et des écologistes de tous bords. Nommer un pro-hydrocarbure à la présidence de la COP28 serait la preuve du renoncement à la sortie des énergies fossiles.

Agacement et même dégoût pour Yamina Saheb, co-autrice des rapports du Giec sur notre antenne il y a quelques jours : « C’est un scandale, un scandale et une trahison. On nous bassine avec cette histoire qu’il faut parler à tout le monde, et cetera. Lors de la dernière COP, les énergies fossiles représentaient la délégation la plus importante. Ce n’est plus une COP, il faut l’appeler « la conférence des parties pour mettre fin à la vie sur terre ». »

Sultan al-Jaber est le président-directeur général de la compagnie pétrolière nationale d’Abu Dhabi (Adnoc). Elle est la sixième réserve de gaz et pétrole dans le monde. Un secteur poids lourd des émissions de CO2.

Pétrole et énergies renouvelables en même temps
Sultan al-Jaber est déjà engagé dans la diplomatie environnementale depuis longtemps. Il dirigeait déjà la délégation émirienne lors des deux précédentes COP. Il est également à la tête du Masdar, la compagnie des énergies renouvelables aux Émirats arabes unis, qui vise la neutralité carbone d’ici à 2050.

Pour illuminer la vitrine que va être la COP28 pour ce pays, quoi de mieux que d’y placer un de ses plus éminents représentants ? C’est l’explication de Younes Belfellah, enseignant à l’université Paris 8, spécialiste de l’économie politique du monde arabe : «​​​​​​ Il représente une nouvelle génération de dirigeants qui sont bien formés, principalement à l’étranger, et après qui reviennent au pays à travers des cercles évidemment très proches de la famille qui règne surtout à Abu Dhabi, la famille al-Nahyane. Il a même été envoyé spécial des Émirats arabes unis pendant toutes les réunions du climat. Donc, il a une connaissance de ce secteur d’activité, mais c’est l’occasion également de faire du marketing politique pour le pays. On sent qu’il y a une volonté de dépasser le pétrole à travers l’investissement, dans des stratégies ou dans des secteurs d’activité qui sont très émergents. »

Al-Jaber, c’est un nouveau genre de « en même temps ». Sa troisième casquette est celle de ministre de l’Industrie aux Émirats. Il défend une « approche pragmatique ».

Il y a deux semaines après l’annonce de sa nomination, le sultan a déclaré : « Tant que le monde utilisera des hydrocarbures, nous devrons veiller à ce qu’ils aient la plus faible intensité de carbone possible. Nous travaillons avec le secteur de l’énergie pour accélérer la décarbonation, réduire le méthane et développer l’hydrogène ».

Les Émirats attendus au tournant
Président d’une COP, c’est un poste important car il est celui qui donne certaines orientations de négociations. Nommer un ingénieur pétrolier à ce poste est un mauvais signal pour Marine Pouget, responsable gouvernance internationale au Réseau action climat. Elle est de toutes les COP et elle s’interroge sur ce choix : «​​​​​​​ C’est inquiétant parce que même s’il a une double casquette et qu’il a ce côté promotion des énergies renouvelables dans ses discours, ça reste un patron d’une entreprise d’énergie. Il faudra voir sur place. Est-ce qu’à cette COP28, les Émirats vont vraiment prendre le rôle de présidence et vont vraiment être un leader des pays du Golfe, notamment sur la sortie des énergies fossiles ? C’est là qu’on va principalement les attendre. Ou est-ce qu’ils vont rester dans les mêmes discours que l’Arabie saoudite ? Ce serait clairement un manque d’ambition et cela ferait très certainement échouer la COP ».

Lors des négociations de la dernière COP, les Émirats avaient été jugés facilitateurs tout en restant dans un groupe de bloqueurs avec l’Arabie saoudite. Un paradoxe qui résume finalement bien Sultan al-Jaber.

rfi

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