Adani Entreprise, le plus important groupe indien, n’en finit pas de chuter en Bourse. La faute à Hindenburg Research, un petit fonds spéculatif américain qui s’en est pris à l’homme le plus riche d’Asie, Gautam Adani. Une campagne qui risque aussi de nuire à l’image de l’Inde sur la scène internationale.
L’homme le plus riche d’Asie se retrouve dans le collimateur d’un petit fonds d’investissement américain établi il n’y a même pas dix ans. La valeur boursière de l’empire du BTP et des infrastructures du multimilliardaire indien Gautam Adani a perdu plus de 70 milliards de dollars, lundi 30 janvier.
La faute à Hindenburg Research, un jeune fonds spéculatif qui a publié un long rapport de plus de 200 pages mercredi 25 janvier, détaillant ce que ces investisseurs appellent “la plus importante escroquerie de l’histoire du monde des affaires”. Des “révélations” qui les ont poussés à parier sur la chute boursière des entreprises appartenant à Gautam Adani.
Paradis fiscaux et fraudes à répétition
Depuis la parution de ce document retraçant “deux ans d’enquête et de multiples interviews”, la “success story” d’Adani Entreprise vire au cauchemar. Ces révélations risquent même d’écorner “le modèle de développement économique indien”, assure le Wall Street Journal. La fortune personnelle de Gautam Adani en a même pris un coup, passant de plus de 100 milliards de dollars à 85 milliards de dollars en une semaine.
Hindenburg research assure avoir découvert que la croissance folle de l’empire Adani doit moins à la vision économique de son fondateur qu’à des manipulations financières impliquant un vaste réseau de sociétés écrans basées dans des paradis fiscaux.
Ce fonds, dirigé par l’investisseur-activiste Nathan Anderson, accuse Gautam Adani d’avoir utilisé des membres de sa famille pour commettre de multiples fraudes afin de donner l’apparence d’un empire plus rentable qu’il ne l’était.
En gonflant artificiellement la valeur d’Adani (en utilisant des sociétés écrans pour acheter des actions afin de faire monter le cours de l’action), ces manipulations auraient créé une illusion d’opulence pour rassurer les banques appelées à prêter de l’argent au groupe, explique le Financial Times.
“Tissus de mensonges” et “attaques contre l’Inde” : telles ont été les deux axes de défense d’Adani, dès le 26 janvier. Le conglomérat a même publié un long réquisitoire de plus de 400 pages pour essayer de démontrer que les allégations de Hindenburg Research n’étaient que des tactiques de boursicoteurs pour tenter de provoquer une chute du cours de l’action et se faire de l’argent sur le dos de ces mésaventures boursières.
Hindenburg Research vs un ami de Modi
Il faut dire que c’est précisément le cœur de métier des structures comme Hindenburg Research. “Ce sont des fonds dont le but est de faire de l’argent en débusquant les faiblesses, en exposant les tricheurs et traquer les entreprises qui seraient surévaluées en Bourse”, résume Alexandre Baradez, analyste des marchés chez IG France.
Le plus célèbre de ces fonds activistes, Citron Research, a notamment été le premier à alerter dès 2012 sur la santé financière fragile d’Evergrande, le géant chinois de l’immobilier aux pieds d’argile.
Hindenburg Research, loin d’avoir le même tableau de chasse que Citron, a cependant déjà réussi à pousser les autorités américaines à enquêter sur Nikola, une start-up américaine spécialisée dans les camions électriques. En 2021, son PDG a été reconnu coupable de multiples fraudes.
Mais avec Gautam Adani, Hindenburg Research s’est choisi un adversaire d’une autre trempe. En 30 ans, ce conglomérat est devenu l’un des principaux symboles de la réussite de l’économie indienne sur la scène internationale.
Gautam Adani a commencé, dans les années 1980, comme marchand de diamants. Il s’est ensuite diversifié à la faveur des réformes économiques mises en place par les gouvernements successifs en Inde.
Adani Entreprise est, aujourd’hui, essentiellement un géant des infrastructures, possédant notamment plusieurs ports indiens. Mais il dispose aussi de mines, de centrales thermiques, veut être un acteur de la transition énergétique en Inde et a racheté plusieurs médias.
Surtout, Gautam Adani apparaît comme un proche de Narendra Modi, l’actuel Premier ministre indien. Les deux hommes sont originaires de la même région – le Gujarat – et l’homme d’affaires est souvent présenté comme le “Rockefeller de Modi”. “Depuis l’accession au pouvoir de Narendra Modi, la fortune de Gautam Adani a augmenté d’environ 230 %”, soulignait le Financial Times dans un article publié en 2020.
Les soupçons de favoritisme ont poursuivi le patron d’Adani tout au long de sa carrière. Il a même été question d’enquête, notamment après avoir obtenu la gestion de cinq aéroports en 2018. Peu avant ce “cadeau”, la loi avait été modifiée, permettant à des entreprises sans expérience dans ce domaine de participer à l’appel d’offre… ce qui était le cas pour Adani Entreprise.
Mais Gautam Adani n’a jamais été inquiété. Il fait figure d’homme d’affaires intouchable en Inde, tandis que son empire apparaît comme “too big to fail”, ce qui signifie qu’une faillite d’Adani aurait des répercussions sur tout le pays.
Un danger pour le modèle économique indien ?
C’est pourquoi l’assaut d’Hindenburg Research “n’est pas un problème seulement pour Adani, mais aussi pour l’Inde”, assure Alexandre Baradez. Le soupçon de fraude peut être “un poison mortel pour un conglomérat comme celui-ci”, ajoute l’analyste.
Adani Entreprise s’est très fortement endettée au fil des ans pour mettre en œuvre ses nombreux projets pharaoniques d’infrastructures. “C’est un groupe qui a régulièrement besoin d’avoir accès à des nouveaux prêts pour financer son endettement [notamment le remboursement des intérêts, NDLR], et si de telles accusations venaient à refroidir les banques, les problèmes pourraient rapidement devenir très graves”, estime Alexandre Baradez.
Selon lui, un groupe de cette taille pourrait s’effondrer “en quelques semaines”, si plus personne ne voulait lui prêter de l’argent. Un tel scénario serait catastrophique pour l’économie indienne : la plupart des banques indiennes ont prêté des sommes importantes à ce groupe, et leur santé financière dépend de la capacité d’Adani à les rembourser, rappelle le Wall Street Journal.
“Le risque aussi est que les investisseurs se détournent plus largement du marché indien, car leur foi dans le tissu économique du pays aura été ébranlée”, note Alexandre Baradez. De quoi remettre en cause l’image de confiance que pouvait susciter Inde, auprès des investisseurs, face à la Chine.
Le rapport d’Hindenburg met ainsi les autorités indiennes dans une position très délicate. Elles peuvent lancer une enquête à la suite de ces allégations, au risque d’être accusées de rentrer dans le jeu d’une campagne « anti-indienne ». Dans l’Inde nationaliste de Narendra Modi, c’est un pari risqué. Mais les investisseurs internationaux pourraient ne pas comprendre le refus d’ouvrir une enquête.
france24