La navigatrice Clarisse Crémer s’est vu exclure, mercredi, du prochain Vendée Globe, en raison de son congé maternité. Une décision à l’encontre des avancées de ces dernières années dans le domaine, mais qui fait office de piqûre de rappel. Dans le sport de haut niveau, il est toujours risqué de devenir mère.
Être mère et sportive professionnelle peut encore se révéler périlleux. Alors que le sujet est régulièrement mis sur le devant de la scène, la skippeuse Clarisse Crémer en a fait les frais mercredi 1er février. La navigatrice de 33 ans a été privée du prochain Vendée Globe par son sponsor, le Team Banque Populaire.
En cause : son congé maternité. Banque Populaire a décidé de se séparer de Clarisse Crémer, arrivée 12e au dernier Vendée Globe et première femme pour sa première participation. Mère depuis décembre 2022, son sponsor estime qu’elle n’est pas en mesure de se qualifier pour la compétition en raison des règles de sélection implémentées pour la prochaine édition en 2024.
Car, concrètement, les skippers qui n’ont pas de bateau neuf ont obligation de participer à un certain nombre de courses qualificatives jusqu’au départ et d’y accumuler les milles pour se départager, si le nombre de candidats dépasse 40.
Un retard « pas rattrapable »
Clarisse Crémer n’a pu participer à aucune course qualificative à ce stade à cause de sa grossesse, et accuse désormais un retard qui n’est pas rattrapable, selon Banque Populaire.
« On est à 0 mille et ceux devant nous sont à 1 600. Ces gens-là feront les mêmes courses que nous donc on ne les rattrapera jamais… Et ce sont 42, 43 personnes qui sont devant », a expliqué le lendemain, en conférence de presse, Ronan Lucas, directeur du Team Banque Populaire.
L’équipe a assuré avoir fait « tout son possible » auprès des organisateurs pour faire évoluer le règlement ou « obtenir la garantie d’une wildcard » [une invitation]. Mais, sans succès, elle a décidé de se séparer de Crémer, « au regard des investissements humains et financiers » d’un projet Vendée Globe.
Interrogé par Le Parisien, le directeur du Vendée Globe, Alain Leboeuf, a reconnu être face à « un cas d’école », et a promis de modifier le règlement pour permettre aux femmes enceintes d’avoir une chance de se qualifier… Mais pas avant 2028, la prestigieuse course ayant lieu tous les quatre ans.
Dans un message diffusé jeudi, Clarisse Crémer a donc déploré être « laissée à quai » par son sponsor et regretté que « les règles choisies par le Vendée Globe interdisent à une femme d’avoir un enfant ».
De nombreuses sportives lui ont apporté leur soutien sur les réseaux sociaux. La judokate Clarisse Agbégnénou, championne du monde et olympique en titre, a ainsi interpellé le Vendée Globe sur Twitter. « Ainsi donc en 2023, vous continuez à creuser les inégalités F/H et à sanctionner les femmes parce qu’elles ont le ‘malheur’ de donner la vie tout en menant de front leur carrière professionnelle ? », a-t-elle fustigé.
Règlement de la Fifa
L’exclusion de Clarisse Crémer semble en effet anachronique, tant elle va à contre-courant des décisions prises sur le sujet ces dernières années dans différentes disciplines. La Fédération internationale de football impose ainsi, depuis 2021, aux fédérations nationales d’inscrire dans leurs règlements un congé maternité d’au moins quatorze semaines, dont huit après la naissance, rémunérées au minimum les deux tiers du salaire contractuel. La footballeuse doit aussi être réintégrée par son club à l’issue de son congé, avec « un soutien médical et physique approprié ».
Mais, côté FFF, pas trace de ce dispositif, rapportait Libération en novembre dernier. Si l’OL a montré l’exemple, en accompagnant la latérale Amel Majri au long de sa grossesse en 2022, le club a été condamné en mai par le Tribunal de football de la Fifa à verser près de 82 000 euros à Sara Bjork Gunnarsdottir. La joueuse islandaise, enceinte en 2021, n’avait pas touché l’entièreté de ses allocations maternité.
Inédite, la décision marque un précédent. Le syndicat mondial des joueurs (Fifpro), qui a accompagné la footballeuse dans ses démarches judiciaires, a souligné une « décision historique, la première de ce type depuis la mise en place des règlements de la Fifa en matière de maternité ».
Dans le handball aussi, les choses avancent. La discipline fait figure de pionnière depuis mars 2021 : elle a été la première à se doter d’une convention collective en France offrant une vraie couverture de la maternité. Les professionnelles bénéficient d’un accord collectif garantissant « le maintien du salaire des joueuses par les clubs pendant un an, en cas de grossesse ». Mais le dispositif ne prévoit pas le maintien du contrat de la sportive, ce qui fragilise les poursuites de carrière. La vice-championne olympique Chloé Bulleux a ainsi reçu une lettre recommandée envoyée par son club toulonnais, quelques semaines avant son accouchement. Le club dénonçait son contrat, qui prévoyait une année supplémentaire en option. Selon la joueuse, une telle décision n’était due ni à un choix sportif ni à un choix financier : seul son nouveau statut de mère était en cause.
« Je suis passée de capitaine à rien »
« Le club n’a jamais eu pour objectif que je reprenne. Pendant ma grossesse, ils ne m’ont pas calculée, j’ai trouvé moi-même un kiné, une sage-femme et je m’entraînais seule la majorité du temps, rarement avec le préparateur physique », constate, amère, l’ailière dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux. « Je suis passée de capitaine à rien ».
Le gouvernement a pourtant planché sur la question. L’ancienne ministre des Sports Roxana Maracineanu a ainsi inclus les congés maternités des sportives professionnelles dans l’opération « sport féminin toujours », lancée en février 2022. « Les sportives de haut niveau doivent bénéficier des mêmes droits que n’importe quelle femme dans n’importe quelle autre entreprise en France, estimait-elle alors sur RCF. À savoir : pouvoir affirmer son désir de maternité, avoir le droit à un congé maternité. Envisager d’avoir un enfant pendant une carrière sportive, c’est bénéfique pour tous : l’enfant et la maman. Et puis après la maternité, on peut retrouver le même niveau qu’avant, voire un meilleur niveau ».
Preuve en est la footballeuse Alex Morgan ou l’athlète Mélina Robert-Michon, qui ont toutes montré dans leur sport respectif que maternité et compétition pouvaient très bien s’articuler. Mais si la loi avance, le chemin reste long. Demeure par exemple la question des sponsors, qui échappent à toute influence règlementaire. « Si nous avons des enfants, nous risquons des coupes de nos revenus de la part de nos sponsors durant la grossesse et par la suite », écrivait ainsi l’athlète Allyson Félix à propos de Nike dans le New York Times. Si l’équipementier a depuis revu sa copie, le sujet reste d’actualité. Clarisse Crémer peut en témoigner.
AFP