Le bois-énergie : l’arbre qui cache la forêt

Les forêts reviennent au centre des préoccupations des industriels comme des gouvernements et de l’Union Européenne. Le bois-énergie est en passe de devenir une énergie renouvelable de premier plan. Il représente déjà un tiers des énergies renouvelables de l’UE qui y investit massivement depuis le début des années 2000. L’association Canopée sortait le 14 février son rapport sur le bois-énergie, en alertant sur les dérives possibles de son exploitation. Décryptage.

Absorbant le CO2 que nous rejetons, les forêts sont indispensables pour tenter de contenir le réchauffement climatique. Elles sont également des havres de renouvellement de la biodiversité donc de l’équilibre de nos écosystèmes. Mais pour qu’une forêt remplisse ces fonctions, il faut déjà… qu’elle en soit bien une. Alors que les forêts ont été défigurées par l’industrie, commençons donc par nous interroger sur ce qui les constitue réellement. 

                                           

Qu’est-ce qu’une forêt ?

La réponse peut paraître évidente. « Une forêt, c’est là où il y a arbres ! » Et bien… non. Quand vous vous retrouvez dans un endroit où s’alignent en rangées bien droites des résineux (pin, sapin, douglas, épicéa), vous êtes dans une plantation de monoculture d’arbres. Arrêtez-vous, et écoutez : pas un chant d’oiseau. Au sol, vous ne trouverez pas de champignon ni d’insectes. Ces plantations ne se régénèrent pas. Une fois les arbres abattus et le sol nu qui dégage du CO2, les arbres sont replantés en rangée. Des résineux alignés en monoculture, c’est la manière idéale de faciliter la propagation des incendies l’été.

Une forêt est un écosystème diversifié où interagissent des espèces diversifiées d’arbres, de champignons, d’arbustes, de mousse et d’animaux qui y trouvent refuge, nourriture et s’y reproduisent. Ces trésors qui se régénèrent tous seuls, nous les avons perdus au profit de plantations d’arbres pour l’industrialisation.

Photo de Markus Spiske sur Unsplash 

Aujourd’hui 80% des forêts françaises ont moins de cent ans. 75% sont exploitées. Voilà pourquoi la France ne souffre pas de déforestation mais de malforestation. 

Quand vous lisez sur des étiquettes : « Achetez, on plante un arbre ! » ou que vous entendez des chiffres impressionnants d’hectares qui « reverdissent » le paysage, sachez qu’il s’agit d’arbres de plantation pour entretenir l’industrie du bois, et nullement d’un habitat naturel. 

Ainsi faut-il savoir de quoi on parle quand Dalkia, filiale de EDF, présente sur son site que « la surface forestière en France métropolitaine, couvre 31 % du territoire », soit 16,9 millions d’hectares ?

Le bois énergie : la vraie fausse bonne idée ? 

Dalkia, filiale d’EDF, présente le bois énergie comme la première énergie renouvelable en France avec une novlangue typique du greenwashing : « En 2021, le bois-énergie représentait 41 % des énergies renouvelables et de récupération utilisées par Dalkia. Ce savoir-faire, nous le mettons à votre service pour faciliter votre transition énergétique. Parce que produire de l’énergie verte ne doit jamais être un casse-tête ! ». 

                                                     

Brûler du bois pour produire de l’énergie n’est pas une idée nouvelle. Mais elle revient en force avec l’argument soit-disant vert que la combustion de bois rejetterait uniquement la quantité de carbone absorbée par l’arbre au cours de sa vie, et serait ainsi neutre en carbone. De plus Dalkia s’engage à ce que le bois brûlé soit issu de « déchet du bois ». Elle affirme sur son site : « Il s’agit du bois non utilisé (provenant d’élagages, les résidus forestiers, les produits connexes de scieries, le broyat de palettes ou cagettes …) mais qui peut encore servir ! »

En allant sur un chantier de l’entreprise en Gironde, l’association Canopée a pu constater les coupes rases sur huit hectares, sur ce qui devait être un balivage (coupe choisie et sélectionnée par marquage). Ces forêts jeunes sont pourtant des réserves précieuses de captage de CO2. Leurs sols ainsi mis à nu en libèreront encore plus.

La demande grandissante du bois-énergie

Le gouvernement français encourage la filiale de bois énergie et de ce fait, la demande de granulés de bois a augmenté drastiquement en France : +120% en un an en 2021 pour l’achat de chaudières à granulés, +40% pour les poêles à granulé. Selon l’ADEME, la demande en bois énergie provient à 75% des particuliers pour le chauffage. 

                                                                 

Le rapport de Canopée alerte sur la « dangereuse exception » des centrales biomasses en Outre-Mer, avec par exemple la centrale thermique Galion 2 en Martinique qui fonctionne à 100% avec de la biomasse. Mais le gisement étant insuffisant pour répondre à son besoin annuel, l’entreprise importe massivement des granulés des États-Unis, en contradiction avec son discours. Un autre point d’inquiétude est le massif des Landes de Gascogne, où les prix du bois-énergie augmentent tellement qu’ils viennent concurrencer les prix du bois de trituration ou du bois d’œuvre, d’où la coupe de bois de qualité destinés à la combustion.

Savoir ce que sont les forêts pour nous

En réalité, on ne sait pas bien estimer dans quel sens va aller la consommation de bois-énergie. Le rapport de l’association Canopée insiste sur le fait que « de fortes incertitudes existent quant aux volumes totaux qui pourraient être mobilisés d’ici à 2050. »

De nombreuses recherches sont en cours, par exemple pour fabriquer du gaz à partir du bois (en créant du méthane) pour remplacer le gaz naturel afin d’obtenir un gaz 100% renouvelable en France. La possibilité de liquéfier cette énergie pour créer des biocarburants est aussi étudiée, faisant potentiellement du bois une ressource convoitée par la filière aéronautique et du transport lourd.

« LES EFFETS SUR LE CLIMAT DES STRATÉGIES ACTUELLES DE SUBSTITUTION À GRANDE ÉCHELLE DU CHARBON PAR LA BIOMASSE FORESTIÈRE POURRAIT AGGRAVER LE RISQUE DE DÉPASSER LES SEUILS DE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE DÉFINI PAR L’ACCORD DE PARIS. » RAPPORT CANOPÉE 

C’est donc maintenant qu’il faut définir le sens de cette utilisation du bois, les objectifs et les limites, pour éviter de camoufler un nouveau massacre écologique sous un discours vert de sortie des énergies fossiles.  

                                                               

En 2022, la directive du Parlement Européen préconise d’exclure les biomasses primaires (arbres entiers) de la liste des énergies renouvelables, reconnaissant que : « Afin de renforcer la protection des habitats de grande valeur sur le plan de la biodiversité et particulièrement riches en carbone, tels que les forêts primaires et anciennes, les forêts présentant une grande valeur sur le plan de la biodiversité, les prairies, les tourbières et les landes, il convient d’introduire des exclusions et des limitations à la production de biomasse forestière dans ces zones, conformément à l’approche adoptée pour les biocarburants, les bioliquides et les combustibles issus de la biomasse agricole. » 

Si cette directive était adoptée par les membres, les subventions au bois énergie seraient coupées, et pourraient être redirigées sur des méthodes de gestion des forêts pérennes et à long terme qu’on connaît déjà. La méthode ? Laisser vieillir les arbres, replanter des feuillus (chêne,  châtaignier, noisetier, bouleau) et des essences rares (érable, tilleul, merisier)  

« LAISSER VIEILLIR LES ARBRES EST NON SEULEMENT UNE STRATÉGIE EFFICACE POUR ATTÉNUER LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES, MAIS AUSSI LA MEILLEURE OPTION POUR PRÉSERVER LA FERTILITÉ DES SOLS, RESTAURER LA BIODIVERSITÉ ET REDONNER DU SENS AUX MÉTIERS DE LA FORÊT ET DU BOIS EN FAISANT LE PARI DE LA QUALITÉ. »  RAPPORT CANOPÉE

La question qui va se poser est de savoir si ces méthodes pourront répondre à la demande grandissante de granulés, ou s’il faudra rediversifier les méthodes de chauffage, ou trouver des solutions complémentaires pour alléger la demande en bois de combustion. À nous de définir ce que sont les forêts : des ressources inépuisables de bois qu’il suffit de couper et replanter à l’infini sans distinction d’espèces ou de potentialité de renouvellement et qui coûteront de plus en plus cher, ou bien des alliées dans la lutte contre le réchauffement climatique, les incendies, la perte de la biodiversité – bref tout ce qui augmente nos factures – que nous devons respecter et protéger. 

mrmondialisation

You may like