Le président de la République a annoncé mercredi son intention de présenter un projet de loi permettant d’inscrire dans la Constitution la liberté pour les femmes de recourir à l’interruption volontaire de grossesse. Pour autant, les modalités de cette inscription laissent présager une révision constitutionnelle très hypothétique.
Emmanuel Macron voulait sans doute marquer les esprits pour faire un peu oublier la contestation contre sa réforme des retraites. Le président de la République a annoncé, mercredi 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes et d’un hommage rendu à l’avocate féministe Gisèle Halimi, son intention d’inscrire l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution française.
« Les avancées issues des débats parlementaires (…) permettront, je le souhaite, d’inscrire dans notre texte fondamental cette liberté dans le cadre du projet de loi portant révision de notre Constitution qui sera préparé dans les prochains mois », a déclaré Emmanuel Macron au palais de justice de Paris.
La nouvelle, qui surfe sur une proposition de loi constitutionnelle votée en novembre à l’Assemblée nationale et en février au Sénat – mais en des termes différents –, a été applaudie par les associations féministes, qui y ont vu une « victoire ». Mais l’inscription de l’IVG dans la Constitution est en réalité loin d’être acquise.
Un projet de loi gouvernemental plutôt qu’une proposition de loi émanant des parlementaires a l’avantage de pouvoir être voté par le Parlement réuni en Congrès, à la majorité des trois cinquièmes, plutôt qu’en passant par un référendum jugé davantage périlleux.
En revanche, contrairement aux parlementaires, le chef de l’État n’entend pas proposer un projet de loi spécifique à l’IVG, mais une réforme plus large des institutions, qui pourrait aller d’un redécoupage des régions à une redéfinition des mandats électoraux, selon l’entourage présidentiel. Emmanuel Macron, lui-même, avait évoqué, dans un entretien avec le magazine Le Point en avril 2022, la possibilité de revenir au septennat avec des élections de mi-mandat pour découpler les élections présidentielle et législatives.
Les conditions pour modifier la Constitution « jamais aussi peu réunies depuis 1962 »
Mais cette façon de faire, qui consiste à noyer la constitutionnalisation de l’IVG au milieu de nombreuses autres mesures, pourrait être mal vécue par l’opposition, qui aurait le sentiment qu’on lui force la main.
« Emmanuel Macron fait un premier pas et c’est une bonne chose. Mais s’il veut essayer de nous faire accepter des choses avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord, comme le retour au septennat ou une simple dose de proportionnelle, c’est l’assurance de l’échec et il en sera personnellement responsable », prévient la députée insoumise Mathilde Panot, qui a porté à l’Assemblée nationale la proposition de loi constitutionnelle sur l’IVG.
Il apparaît en effet aujourd’hui comme une gageure d’imaginer Emmanuel Macron parvenir à une réforme constitutionnelle rassemblant les trois cinquièmes du Parlement avec un Palais Bourbon sans majorité absolue et aussi divisé.
« Ça semble totalement hypothétique, juge même Benjamin Morel, professeur en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas. Les conditions pour modifier la Constitution n’ont jamais été aussi peu réunies depuis 1962. Le Sénat et l’Assemblée nationale n’ont pas la même couleur politique et le parti présidentiel n’a même pas de majorité absolue à l’Assemblée. Quand Nicolas Sarkozy réforme la Constitution de manière importante en 2008, il a derrière lui une majorité assez large au Sénat et à l’Assemblée nationale, et pourtant, ça passe à une voix près. »
Emmanuel Macron s’était lui-même cassé les dents avec un projet de révision de la Constitution présenté en 2018, lors de son premier quinquennat. Cette réforme devait notamment introduire une dose de proportionnelle aux élections législatives, réduire de 30 % le nombre de parlementaires, limiter le cumul des mandats dans le temps et supprimer la Cour de justice de la République. L’affaire Benalla, à l’été 2018, stoppa net la réforme. Celle-ci fut réintroduite en 2019, avant d’être définitivement enterrée par la crise du Covid-19.
Le chef de l’État a-t-il retenu la leçon ? Emmanuel Macron a reçu début février ses prédécesseurs, François Hollande et Nicolas Sarkozy, pour évoquer le sujet. Il ambitionne, selon nos informations, de mettre sur pied une commission transpartisane. Déjà évoquée pendant la campagne présidentielle, cette commission aurait pour but « une recherche de consensus, à l’image de celui existant déjà sur la question de l’IVG », indique l’Élysée.
« Liberté » plutôt que « droit » à l’IVG
Une méthode qui laisse l’opposition dubitative, d’autant que, même sur l’IVG, les voix de la gauche ne sont pas acquises. Le Sénat à majorité de droite a voté en faveur de l’inscription dans la Constitution de la « liberté de la femme » de recourir à l’IVG, une formulation qui abandonne la notion de « droit » à l’IVG privilégiée par la gauche à l’Assemblée nationale. Or, c’est bien la version sénatoriale qu’Emmanuel Macron a reprise à son compte mercredi après-midi.
Derrière la sémantique, l’enjeu n’est pas anodin. Il y a chez Emmanuel Macron la volonté de contenter les sénateurs Les Républicains, mais le remplacement de « droit » par « liberté » a des conséquences juridiques, estime Mathilde Panot.
« C’est dommage et dangereux qu’Emmanuel Macron se base sur la version du Sénat, regrette-t-elle. Il y avait à l’Assemblée nationale un attachement très fort à réaffirmer que l’IVG est un droit fondamental des femmes. Avec le mot ‘liberté’, on fragilise le texte. »
Un avis que ne partage pas Benjamin Morel, pour qui l’accès à l’IVG serait garanti avec les deux formulations. « La différence entre ‘droit’ et ‘liberté’, c’est que la version du Sénat précise bien que les modalités de l’IVG dépendent du Parlement, alors que le ‘droit’ à l’IVG tel qu’inscrit dans le texte de l’Assemblée nationale donnerait au Conseil constitutionnel le pouvoir d’intervenir sur les conditions d’accès à l’IVG », explique-t-il.
Un débat et une réforme constitutionnelle qui pourraient finalement relever de la tactique politicienne, compte tenu du peu de chances de voir la Constitution effectivement révisée. Contacté, l’Élysée reste peu disert sur le contenu de la réforme constitutionnelle envisagée, tout comme sur le calendrier et la façon dont serait composée la commission transpartisane.
france24