La banque Silvergate a annoncé, mercredi, qu’elle se préparait à la liquidation de ses activités. Ce serait la première faillite d’un établissement financier traditionnel liée aux soubresauts des cryptomonnaies depuis la création du bitcoin en 2008.
C’est l’histoire d’un patron de banque, fervent catholique et grand-père de 21 petits-enfants, qui a tout misé sur les bitcoins. Alan Lane dirige une petite banque régionale américaine qui, telle la grenouille de la fable de La Fontaine, a voulu devenir le bœuf de l’univers des crypto. Et qui vient de s’effondrer.
La banque californienne Silvergate a annoncé, mercredi 8 mars, son intention de réduire ses activités en vue d’une faillite qui semble être “l’issue la plus réaliste”, d’après un communiqué.
Une banque qui a tout misé sur les cryptomonnaies
Silvergate devient ainsi la première banque traditionnelle à succomber à la crise des cryptomonnaies qui sévit depuis la faillite retentissante de la plateforme d’échanges FTX en novembre 2022. Un phénomène inédit qui pourrait faire craindre un début de contagion des affres du secteur des cryptomonnaies au système financier traditionnel.
Sauf qu’en l’occurence “Silvergate reste un cas particulier puisqu’il s’agit d’une banque qui a décidé très tôt d’adopter une stratégie quasi-exclusivement axée sur les cryptomonnaies et qui en paie le prix aujourd’hui”, résume Nathalie Janson, économiste et spécialiste des cryptomonnaies à la Neoma Business School.
Les principales autorités américaines de régulation financière, tels que la SEC (Security and Exchange commission, l’autorité de réglementation des marchés financiers) ne se sont d’ailleurs pas ruées au chevet de Silvergate “alors qu’elles font tout pour trouver un repreneur lorsqu’une institution financière systémique menace de s’effondrer”.
En réalité, Silvergate, qui existe depuis 30 ans, a tout fait au fil des années pour devenir la “banque de crypto”. Pour elle, la “révolution” des bitcoins et autres monnaies dématérialisées “était le moyen de passer du statut de petite banque régionale à institution financière d’ampleur”, souligne le Financial Times.
Au début des années 2010, elle est encore une petite banque spécialisée dans les prêts immobiliers, l’une des rares aux États-Unis à avoir réussi à survivre à la crise des subprimes de 2008 sans trop de dommage. Surfant sur ce succès, Silvergate commence à vouloir appâter de nouveaux clients. Mais où en trouver ?
Alan Lane, à côté d’une vie paroissiale très active, s’intéressait aussi à l’époque à une nouvelle mode monétaire sur Internet : le bitcoin. En 2013, il effectue son premier achat.
Victime collatérale de FTX
Le PDG de Silvergate a alors une révélation : tous les acteurs de ce nouveau secteur en pleine croissance doivent bien avoir besoin d’une banque ? Renseignement pris, les Kraken, Gemini, Paxos – parmi les start-up les plus en vue du monde des crypto à l’époque – ont du mal à trouver des banquiers qui acceptent des dépôts en bitcoin ou de leur accorder des prêts, raconte CNBC, qui avait consacré un article à Alan Lane en 2018. Il faut dire qu’à l’époque, le bitcoin est essentiellement associé au monde du cybercrime… pour les rares banquiers qui en ont entendu parler.
Alan Lane y voit une opportunité. Silvergate entame alors un virage stratégique qui se traduit par une baisse des activités bancaires traditionnelles et une réaffectation des salariés pour satisfaire aux besoins de ces nouveaux clients 2.0. “Silvergate se vantait même sur son site d’être la banque qui faisait des affaires avec ceux qui avaient été snobés par les autres institutions financières”, souligne Alexandre Baradez, analyste financier pour IG France qui travaille sur le secteur des cryptomonnaies.
Une transformation en profondeur qui a longtemps semblé réussir à cette banque. Elle passe d’une vingtaine de clients venus du monde des blockchain, bitcoins ou encore ethereum à plus de 1 000 en 2022. L’argent commence à affluer. En 2020, Silvergate engristre des dépôts de deux milliards de dollars liés aux cryptomonnaies, contre 16 milliards de dollars en septembre 2022.
Silvergate réussit son pari : devenir le banquier des stars de cette nouvelle économie, tels que Coinbase… ou FTX. Au moment de l’effondrement de cette plateforme, “plus de 90 % de tous les dépôts sur les comptes de Silvergate étaient liés aux cryptomonnaies”, souligne Nathalie Janson.
Au final, “Silvergate a été une victime collatérale de FTX”, note Alexandre Baradez. L’onde de choc de la faillite de l’empire de Sam Bankman-Fried, le PDG de FTX, entraîne des retraits massifs d’argent des comptes de Silvergate. Entre septembre et décembre 2022, les fonds disponibles ont été divisés par deux et la banque a annoncé un milliard de dollars de pertes au quatrième trimestre.
Fin d’une ère ?
Cette probable faillite risque de rendre la vie plus dure à tous les acteurs du secteur. Vers qui les start-up vont-elles se tourner pour leur prêter de l’argent et gérer leur compte ? “Tout dépend de comment cette histoire va finir. Si lors de la liquidation, certaines parties de l’activité de Silvergate sont reprises, il peut y avoir une transition en douceur. Mais si la banque disparaît purement et simplement, c’est sûr qu’il va y avoir un vide pendant un temps”, estime Nathalie Janson.
Mais l’importance de la disparition annoncée de Silvergate est “avant tout symbolique”, assure Alexandre Baradez. “Après la faillite de la principale plateforme d’échange du monde des cryptos, c’est sa principale banque qui menace de disparaître. Deux piliers de cet écosystème s’effondrent. »
Pour lui, c’est le signe qu’un chapitre de l’histoire des cryptomonnaies se clôt. Le temps du far west des cryptomonnaies – un monde sans shérif ou régulation – toucherait à sa fin. “Les investisseurs vont dorénavant demander beaucoup plus de garanties, et les banques ne vont plus miser aussi gros sur ce secteur sans assurer leurs arrières”, prédit Alexandre Baradez. Il juge que la fin de Silvergate est un mal à court terme, pour un bien à plus long terme. Ce serait peut-être l’avènement d’un monde des cryptomonnaies débarrassé de ces mauvaises herbes, chassées des terres crypto par des régulateurs plus actifs dans ce secteur. En attendant qu’une nouvelle crypto-grenouille gonfle au point d’exploser.
france24