Le 17 mars, la CPI a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine. A ses côtés, accusée elle aussi de « crimes de guerre » : Maria Lvova-Belova, commissaire aux droits de l’enfant.
Les enfants s’avancent, tête baissée. Ils suivent la direction indiquée par un adulte, chapka vissée sur la tête. L’un d’entre eux tient un chiot dans ses bras. Au fond, on distingue le wagon gris et rouge, caractéristique des trains russes. La photo, publiée sur Instagram le 21 février 2022, est accompagnée d’un message qui se veut bienveillant : « Chers collègues, force à vous. Prenez soin de vous et de vos enfants ».
Nous sommes une semaine après le déclenchement de l’invasion en Ukraine. Maria Lvova-Belova poste une série de clichés censés témoigner du « sauvetage » d’enfants ukrainiens. « Leur cœur leur fait mal », souligne celle nommée Commissaire aux droits des enfants, par Vladimir Poutine, en 2021. Son « travail » ? Organiser le transfert de milliers d’enfants, en provenance du Donbass, territoire actuellement occupé par la Russie, à forte présence séparatiste pro-russe. De la « déportation », et un « crime de guerre », selon la Cour pénale internationale.
De Maria Lvova-Belova, 38 ans, l’histoire retiendra sûrement qu’elle fût citée aux côtés de Vladimir Poutine, comme « présumée responsable de crime de guerre », par l’institution, qui a prononcé un mandat d’arrêt contre le dirigeant russe et sa subordonnée, le 17 mars 2023. Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, des organisations internationales, dont l’ONG Humain Rights Watch et Amnesty Internationale, accusent les autorités russes d’orchestrer le « déplacement forcé » de milliers de mineurs ukrainiens. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a lui-même dénoncé des « enlèvements », des « adoptions forcées » et de la « rééducation » d’Ukrainiens.
Encartée chez « Russie Unie », mère de 10 ans
Un rapport publié en février par l’université de Yale et le programme Conflict Observatory du département d’État américain indique qu’au moins 6 000 enfants ukrainiens sont détenus dans un total de 43 camps de rééducation en Russie. Le Bureau national d’information du gouvernement ukrainien a déclaré qu’au début du mois de mars, ce nombre pourrait être supérieur à 16 000. Au programme : entraînement militaire, lectures avec des vétérans russes et visite de sites culturels russes…
« A Marioupol, nous avons documenté plusieurs cas de civils sortis manu militari par les soldats russes des abris et emmenés dans des camps où les enfants sont parfois séparés de leurs familles avant d’être envoyés en Russie, expliquait récemment dans nos colonnes Laura Mills, chercheuse à Amnesty International. De ce système dénoncé par l’Occident, Maria Lvova-Belova, encartée chez « Russie Unie », et représentante de la campagne présidentielle de Vladimir Poutine, en 2018, en serait la contremaître, selon la CPI.
Cette mère de 10 ans, dont cinq biologiques, a d’abord été cheffe d’orchestre et musicienne, avant de s’impliquer dans plusieurs fonds caritatifs pour handicapés en Russie. Elle est élue à la Chambre civique de la région de Penza en 2014, un organe chargé d’émettre des avis sur les activités législatives russes. Elle devient sénatrice de la Fédération de Russie, en 2020, après avoir été élue « Leader of Russia », dans le cadre d’un concours national de management, très regardé en Russie. Conservatrice, religieuse – elle est mariée à un prêtre orthodoxe -, la Commissaire aux droits des enfants fait très vite office d’exemple à suivre en Russie.
Maria Lvova-Belova a elle-même adopté un enfant ukrainien. « Maintenant je sais ce que c’est d’être une mère d’un enfant du Donbass. C’est difficile, mais nous nous aimons », raconte-t-elle, le 16 février 2023, à la télévision, accompagnée de Vladimir Poutine. Dans ses tournées médiatiques, nombreuses, elle dit avoir « sauvé » « son enfant » de Marioupol, ville portuaire pourtant quasiment rasée par les missiles russes, et la stratégie de pilonnage aléatoire de la Russie, pour détruire le moral des familles qui y vivaient encore, et les faire fuir quand ils ne meurent pas.
Elle a elle-même adopté un Ukrainien
Dans quelles conditions Maria Lvova-Belova, visée par des sanctions américaines depuis septembre 2022, a-t-elle adopté son enfant ? Étaient-elles similaires à celles capturées par une caméra de surveillance dans un orphelinat de la région de Kherson, en octobre dernier ? Dans cette vidéo, diffusée par Sky News, on aperçoit des Russes armés et cagoulés pour certains, déambuler dans l’établissement, à la recherche d’enfants. Volodymyr Sahaidak, le directeur de l’établissement, les avait cachés, un peu plus tôt, prévenu que le FSB voulaient les « prendre ».
Quel est le degré d’implication de Maria Lvova-Belova, dans la politique de Poutine ? N’est-elle qu’une « figurante », chargée de jouer le visage de cette politique de transfert d’enfants, sans réelles prérogatives ? « Cette femme fragile fait à elle seule plus pour les enfants et la paix que ces Américains honteux qui griffonnent des listes de sanctions », estimait Vladimir Poutine, en septembre. « Faire partie de l’équipe du président représente une responsabilité particulière et une volonté de relever les défis les plus difficiles de notre époque. Je suis fière d’être au service de notre pays et de nos enfants », déclarait-elle, il y a un an, sur Instagram. Sur cette photo-là, pas d’enfant. Juste elle et Poutine, qui se serrent la main et leur complicité mise en scène.
lexpress