Affaire du 28-Septembre en Guinée: les six premiers mois d’un procès historique

Le 28 septembre 2022 s’ouvrait le procès du massacre du stade de Conakry de 2009. Pour la première fois dans l’histoire du pays, d’anciens maîtres du pays, dont l’ex-capitaine Moussa Dadis Camara, sont jugés pour leur participation présumée à un crime de masse de plus de 150 morts et d’une centaine de viols. Un procès inédit à plus d’un titre.

En décidant d’ouvrir le procès un 28-Septembre, le colonel Mamadi Doumbouya, actuel président de transition en Guinée, souhaitait sans nul doute graver son nom dans l’histoire politique guinéenne. En 1958, c’est ce jour que l’ancienne colonie française vote pour son indépendance, portée par son premier président Ahmed Sékou Touré.

Le 28 septembre 2009, dans l’enceinte du stade éponyme à Conakry, les forces de la junte CNDD organisent l’exécution de 156 personnes participant à un meeting de l’opposition. Au moins 109 femmes sont violées durant le massacre et dans les casernes et les hôpitaux les jours qui suivent. Treize ans plus tard, jour pour jour, onze prévenus membres du CNDD dont leur chef, Moussa Dadis Camara, comparaissent devant la justice de leur pays. Une première censée marquer la fin de l’impunité dans un pays tristement réputé pour ses innombrables crimes commis par l’État.

« Le bilan de ces six premiers mois de procès est plutôt positif, estime Me Halimatou Camara, avocate des parties civiles et militante féministe. On ne mesure pas encore l’ampleur des enjeux après 64 ans de culture d’impunité, mais c’est un bon début. »

Malgré ses appréhensions sur les défis sécuritaires et politiques, le journaliste et sociologue Boubacar Sanso Barry, du site d’actualité Le Djely, partage un constat similaire : « Finalement, le procès se déroule normalement. Je craignais que sa tenue donne lieu à des protestations, notamment depuis la région d’origine de Dadis », confie-t-il.

La première comparution de « Toumba » va susciter un réel intérêt pour le procès
Dans un bâtiment flambant neuf et spécialement construit pour accueillir le procès, les onze personnalités politiques et militaires, dont certains étaient ministres du gouvernement de transition de l’époque, ont tous défilé à la barre pour répondre aux accusations de meurtre, violences sexuelles, torture, séquestrations, entre autres crimes graves.

Le bal s’est ouvert avec le colonel Moussa Tiegboro Camara, ex-ministre en charge de la lutte contre le grand banditisme, la drogue et les services spéciaux, suivi de Marcel Guilavogui, neveu de Dadis, présenté comme l’un des acteurs principaux de la répression du stade.

Mais c’est la première comparution d’Aboubacar Diakité dit « Toumba », aide de camp du capitaine Dadis, qui va susciter un réel intérêt pour le procès.

« Ça a été le grand moment du procès, et pourtant, c’était totalement inattendu », se rappelle Almamy Kalla Conté, journaliste spécialisé dans les questions judiciaires à la Radio Télévision guinéenne.

Dans une démonstration gesticulée d’une rare éloquence, vêtu d’un bazin étincelant et ponctuant son récit de versets du Coran, Toumba déroule le fil des événements qui ont conduit à la tuerie du 28 septembre 2009 comme sa rencontre avec Dadis Camara, le « pacte de sang » qu’ils ont conclu, leur ascension à la tête de l’État par un putsch, la totale désorganisation des forces armées, sa tentative présumée de stopper le massacre du stade, et, devenu fugitif, sa fuite au Sénégal après avoir tiré une balle dans la tête de son capitaine-président qui, selon lui, voulait lui faire porter le chapeau.

« À partir de là, tout le monde a commencé à suivre le procès à la télévision ou sur le téléphone portable, poursuit Almamy Kalla Conté. Ça a permis d’occuper l’esprit des populations, très éprouvées par les violences liées au troisième mandat du président Alpha Condé et au putsch qui l’a renversé un an auparavant. Sans compter la situation socio-économique difficile. »

Déception face à la déposition de Camara
Depuis, Toumba est une star en Guinée. Au point que certains arborent des t-shirts à son effigie et clament d’emblée son innocence. Les vidéos de ses audiences ont largement dépassé le million de vues sur Internet. C’est bien plus que Moussa Dadis Camara. Sa comparution était pourtant la plus attendue mais « sa part de vérité » va vite décevoir, tant la défense de l’ancien capitaine est confuse.

« Alors qu’il s’est toujours montré ouvert à la tenue d’un procès, l’attitude agacée de Dadis face aux magistrats n’est pas si étonnante, son caractère impulsif et sa déconnexion avec la réalité le reflète tel qu’on le connait déjà », ajoute Boubacar Sanso Barry.

Le journaliste politique évoque la rencontre, en décembre 2021, à Conakry, entre l’ancien capitaine et le général Sékouba Konaté qui l’a succédé à la tête de la transition. Des retrouvailles organisées par le président-putschiste actuel Mamadi Doumbouya. « À ses yeux, c’est comme si ce procès n’était qu’une formalité pour laver son honneur afin de revenir en politique. Peut-être que les autorités actuelles lui ont laissé croire cela et aujourd’hui, il se retrouve piégé », analyse M. Barry.

« De manière générale, l’opinion publique n’a pas aimé que Dadis rejette ses responsabilités, continue Almamy Kalla Conté. Par son attitude, il s’installe au même niveau que ses sous-fifres, alors qu’il exige de le considérer comme un ancien président. Ça passe mal ! »

Le témoignage des victimes donne une autre ampleur au procès
Pour Me Halimatou Camara, c’est le témoignage des parties civiles qui a retenu son attention, notamment celui d’un avocat dont le frère était au stade et qui a pris une balle alors qu’ils parlaient au téléphone. Son corps n’a jamais été retrouvé : « La parole est libérée désormais. Sur le plan purement thérapeutique, le procès leur permet de faire leur deuil. »

D’autant que les audiences des victimes ont mis en lumière l’ampleur déjà bien grande des exactions. « Le massacre s’est poursuivi tard dans la soirée du 28 septembre. Les camps militaires et les hôpitaux sont devenus des lieux de séquestration où on a torturé et violé pendant des jours. Il semblerait aussi que les murs du stade avaient été électrifiés pour empêcher les manifestants de fuir », raconte l’avocate.

« Dans l’opinion, beaucoup ne pouvaient pas croire qu’on ait violé des femmes dans le stade même, renchérit Boubacar Sanso Barry. Au bout de quelques mois, les comparutions successives des prévenus devenaient comparables à du divertissement, jusqu’à ce que le témoignage des victimes apporte du sérieux, elles ont donné une autre dimension au procès. »

Retransmis par les télévisions publiques et privées qui les diffusent ensuite sur leur page YouTube, ce procès historique est un défi pour les médias, surtout pour la chaîne d’État RTG.

« Notre avantage est que notre couverture est nationale. Malheureusement, on ne transmet pas en direct, mais on diffuse l’intégralité de l’audience du jour, en milieu de soirée, décrypte Almamy Kalla Conté. Lors du procès des gangs en 1995, il n’existait aucun autre média hormis la RTG. Et pour le procès de l’attaque de la résidence du chef de l’État en 2011, c’était un procès très politique et expéditif. Pour ce procès exceptionnel, la couverture, c’est du jamais-vu. Malgré tout, nous manquons de moyens et de formation aux affaires judiciaires pour assurer une meilleure couverture. Le ministère de la Justice ne nous accompagne pas. »

Un procès qui révèle aussi ses failles
Malgré son importance, le procès révèle aussi ses failles. « Les acteurs judiciaires sont insuffisamment formés sur les violences basées sur le genre, se désole Me Camara. Par exemple, ils qualifient les victimes de femmes « violées ». Or, le bon terme est « agressées ». »

« On demande parfois aux victimes des détails scabreux qui ne sont pas de nature à apporter des éclaircissements. On ne parle même pas de l’absence de preuves matérielles. »

Un reproche que partage le journaliste et sociologue Boubacar Sanso Barry : « Sur l’établissement de la vérité et sur la portée historique du procès, je reste dubitatif. Pour l’instant, c’est juste la parole des uns contre la parole des autres. Dadis est totalement incohérent, mais aucun élément de preuve ne lui a été opposé. L’idéal serait qu’il y ait un minimum de consensus dans le futur verdict afin que cela marque les populations et serve d’exemple à l’avenir. »

Dans l’absolu, toutes les parties se félicitent de la tenue de ce procès inédit en tous points, dont le ministre de la Justice, Alphonse Charles Wright : « Ce qui est satisfaisant, c’est que tout le monde est rassuré quant à l’impartialité de la justice. Ce procès est un facteur décisif de la lutte contre l’impunité sous toutes ses formes. »

Cependant, le chargé de communication de l’Organisation guinéenne des droits humains, Alseny Sall, dresse un bilan plus mesuré : « C’est vrai que les magistrats du procès du 28-Septembre travaillent en toute indépendance, mais c’est insuffisant pour parler d’une indépendance de la justice en général. Nous sommes actuellement dans une transition durant laquelle nous rencontrons toujours des situations frisant avec l’instrumentalisation de la justice contre les acteurs socio-politiques. Les magistrats doivent maintenant travailler à renforcer leur indépendance, car elle ne se donne pas, elle s’arrache. »

RFI

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