Réforme des retraites en France : quelles sorties de crise possibles ?

La dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites a rassemblé entre 800 000, selon le ministère l’Intérieur, et deux millions de personnes selon le syndicat CGT. Une nouvelle journée de grève est prévue le 6 avril prochain. Le dialogue entre syndicats et représentants du mouvement social et le gouvernement est au point mort. Quelles sorties de crises sont aujourd’hui envisageables ?

« On prend un mois et demi où on dit « les 64 ans ça ne s’appliquera pas » et on fait de la médiation. Ensuite on se met autour de la table et on regarde la question du travail, des retraites, sur quoi il peut y avoir ou pas un compromis social ». Ce mardi 28 mars au matin, le leader de la CFDT, principal syndicat français, Laurent Berger, a fait le choix de tendre la main au gouvernement. En direct au micro de la radio nationale France Inter, celui-ci a suggéré une « médiation » entre opposants et membres de la majorité, comme « voie de sortie » à la crise sociale que connait la France depuis près de deux mois.

La proposition n’est toutefois pas resté longtemps sur la table. Le gouvernement y a opposé une fin de non-recevoir en fin de matinée, suscitant la réaction outrée du leader syndical et des divergences au sein de la majorité.

« Nous saisissons la proposition de Laurent Berger de se parler, mais directement. Nul besoin de médiation », a assuré le porte-parole du gouvernement Olivier Véran lors du compte-rendu d’un conseil des ministres, alors que débutait la dixième journée d’action à l’appel de tous les syndicats unis. 

Dès le lendemain, la Première ministre a toutefois décidé d’organiser une rencontre avec l’intersyndicale. La question du recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans a été exclu du menu de la rencontre. Une position qui semble réduire le champ des (solutions) possibles pour entrevoir une fin de crise. 

Décision du Conseil Constitutionnel 

C’est le scénario sur lequel le gouvernement mise le plus. Pour être définitivement adoptée, le texte de loi de la réforme des retraites doit faire l’objet d’une approbation des membres du Conseil Constitutionnel. Leur rôle est de veiller à la conformité des lois à la Constitution. Une fois validée, le texte de loi est promulgué.

Cependant pour certains, la censure de la réforme des retraites par les Sages est tout à fait envisageable voire hautement probable. Dans une interview accordée au Monde, Dominique Rousseau, constitutionnaliste, pense d’ailleurs qu’une telle décision permettrait au Conseil Constitutionnel de confirmer « pleinement son rôle de gardien du bon fonctionnement de la procédure et du débat parlementaire. ».

« Personne ne peut contester que les débats ont été précipités à l’aide d’outils comme l’article 47.1, détourné de son usage habituel, que des amendements ont été déclarés irrecevables de manière très discutable, que les débats ont pour le moins manqué au principe constitutionnel de « clarté et de sincérité » reconnu par le Conseil, notamment sur la pension minimale à 1 200 euros, et que l’Assemblée nationale n’a pas voté le texte », développe le professeur de droit public auprès du journal.

Emmanuel Macron et la majorité compte sur l’institution pour approuver sa réforme qui devrait donner son avis d’ici deux ou trois semaines. En attendant, le président français a affirmé se tenir « à la disposition » des syndicats, mais « pour avancer tout de suite » sur d’autres sujets, comme les salaires et les conditions de travail. Toute négociation avant une décision du Conseil est donc formellement exclue.

Le référendum d’initiative partagée

C’est une procédure encouragée par la gauche et par l’extrême-droite. Le référendum d’initiative partagée (RIP) est une procédure législative créée en 2008 qui permet de proposer une loi après consultation d’une partie de l’électorat français.

Avant que le RIP soit mis en place, le Conseil Constitutionnel doit en étudier la recevabilité. Après cette première étape, le référendum doit être soutenu par au moins un cinquième du Parlement, soit 185 députés et sénateurs. Le texte est alors soumis aux électeurs français et doit recueillir la signature d’un dixième d’entre eux, soit un peu plus de 4,7 millions de personnes et ce dans un délai de neuf mois. C’est une fois ces signatures recueillies que le Parlement peut étudier le texte de loi.

L’examen par le Conseil constitutionnel de la proposition de loi sur ce RIP et une éventuelle organisation d’une telle consultation ne suspendent absolument pas la promulgation du texte sur les retraites  Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences à l’Université de Rouen

D’après un sondage réalisé les 22 et 23 mars, 71% des personnes interrogées se disent favorables à un référendum sur la réforme des retraite. 67% voteraient alors contre le report de l’âge légal. Le dernier RIP qui aurait pu avoir lieu portait sur la privation des Aéroports de Paris en mars 2020. Mais seulement 1 116 000 soutiens ont été déposés, un total de vote insuffisant pour que « le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris, Roissy-Charles de Gaulle, Orly et Le Bourget, soit soumise au vote du Parlement » mentionne le site de la vie publique.

« L’examen par le Conseil constitutionnel de la proposition de loi sur ce RIP et une éventuelle organisation d’une telle consultation ne suspendent absolument pas la promulgation du texte sur les retraites » précise cependant Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences à l’Université de Rouen.

Qu’est ce que l’article 47-1 ? 
Le texte de la réforme des retraites s’inscrit dans un projet de budget de la Sécurité sociale rectificatif (PLFSSR). « Un projet de loi qui est soumis par la Constitution à un certain nombre de règles qui peuvent permettre de lever les obstructions, les blocages » justifie la Première ministre Elisabeth Borne le 23 janvier. Cette procédure permet alors d’entrainer automatiquement l’activation de l’article 47-1 de la Constitution qui limite le temps de débats parlementaires à 50 jours au total.

Qu’est ce que l’article 49.3 ?
L’article 49.3 par le gouvernement de la Constitution française permet l’adoption d’une loi sans vote du Parlement. La Constitution stipule que « le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session ».

Passage en force

« On cherche la bonne idée, mais pour l’instant, ça n’émerge pas« , s’inquiète un proche du président. À défaut, d’une solution mirable, le dernier cas de figure possible qui se présente reste alors le passage en force de la réforme après une validation du Conseil Constitutionnel. Une possibilité qui pourrait ne pas apaiser la mobilisation dans la rue qui en est à sa dixième journée de manifestation.

La popularité d’Emmanuel Macron est par ailleurs en très nette baisse selon un baromètre Odoxa pour Public Sénat et la presse régionale, avec seulement 30% des sondés estimant qu’il fait un « bon président de la République » (- 6 points). À la question : « Diriez-vous qu’Emmanuel Macron est un bon président de la République?« , 70% des personnes interrogées ont répondu « non« . 

Il est également en recul dans son propre camp avec 89% des sympathisants Renaissance qui approuvent son action (- 3 points). La Première ministre Élisabeth Borne se situe aussi à un niveau très bas d’approbation (28%), mais sa chute est moins prononcée sur un mois (-1 point).

En tout dernier recours, même après l’avoir adoptée, le président peut toutefois revenir sur sa décision. En 2006, dans le cadre de la loi sur le contrat première embauche (CPE), Jacques Chirac était revenu sur l’application de la loi au bout de quatre mois de manifestations et de blocages en France. Entre un et trois millions avaient alors manifesté pour demander le retrait de la réforme.

AFP

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