Les experts du recyclage se préparent au boom des batteries en fin de vie

Concentrée sur une mousse sombre, la chercheuse Anna Vanderbruggen peaufine le procédé qu’elle a mis au point pour récupérer du graphite de cette masse. Il s’agit d’un composant des batteries de voitures électriques, dont le recyclage sera incontournable dans les prochaines années. Le graphite représente jusqu’à un quart du poids de ces batteries et, pourtant, personne ne s’était vraiment penché sur la façon de le recycler, explique la jeune femme de 29 ans, récompensée l’an dernier par le prix de l’Institut européen d’innovation et de technologie (EIT) pour sa découverte. « Les constructeurs de batteries ne s’y intéressaient pas, car ils pouvaient s’en procurer à faibles coûts en Chine », ajoute la Française.

Au sein du prestigieux institut de recherche allemand Helmholtz, à Freiberg (est de l’Allemagne), elle a élaboré une méthode pour séparer le graphite des métaux que contient la « black mass », une poudre noire composée aussi de cobalt, nickel, lithium et manganèse. « On met la ‘black mass’ dans l’eau et on y injecte des réactifs et des bulles d’air, comme dans un jacuzzi. Le graphite s’attache à ces bulles, tandis que les métaux sont hydrophiles et restent donc dans l’eau », détaille la chercheuse Anna Vanderbruggen travaille aussi comme consultante pour des industriels. Ceux-ci commencent seulement à s’organiser en vue du gigantesque défi que représentera la fin de vie des batteries de voitures électriques.

« Marché en construction »

Les tensions sur l’approvisionnement et le coût des matières premières ont aiguisé leur intérêt.

La chercheuse française Anna Vanderbruggen tient une bassine de liquide sombre et bouillonnant, résultat d'un processus mis au point pour récupérer le graphite des vieilles batteries lithium-ion dans un laboratoire de l'Institut Helmholtz de Freiberg, dans l'est de l'Allemagne, le 27 février 2023 (AFP - JENS SCHLUETER)

Le prix du lithium a ainsi été multiplié par 13 au cours des cinq dernières années, observe Philippe Barboux, professeur de chimie à l’université PSL à Paris. « C’est un matériau qu’on ne recyclait pas, car ce n’était pas rentable », souligne-t-il. Quelque 350 millions de voitures électriques devraient rouler dans le monde d’ici à 2030, contre 16,5 millions en 2021, prédit l’Agence internationale de l’énergie (AIE). « D’ici dix ans, on fabriquera tellement de batteries qu’il faudra absolument recycler le lithium. Autrement, il n’y en aura pas suffisamment », prévient M. Barboux.

En théorie, les industriels sont désormais en mesure de recycler la quasi-totalité des matériaux qui composent les batteries, selon les experts interrogés par l’AFP. Le groupe allemand Aurubis, l’un des plus gros producteurs européens de métaux non ferreux, affirme être capable de recycler au moins 95% des métaux contenus dans la « black mass » dans son usine pilote de Hambourg. Un objectif que partagent également le groupe minier français Eramet, le belge Umicore ou encore le constructeur automobile allemand Mercedes.

Mais la plupart des projets actuels sont encore en phase pilote. « C’est un énorme marché en construction et nous voulons y jouer un rôle », a assuré à l’AFP Ken Nagayama, responsable du développement des matériaux de batteries chez Aurubis, qui travaille actuellement à un processus de recyclage du graphite. Il estime que « le marché devrait être suffisant pour développer une usine de recyclage de batteries à l’échelle industrielle au cours de la seconde moitié de la décennie ».

Pression européenne

Il n’y pas encore « suffisamment de volumes de batteries en fin de vie pour le moment », explique Serge Pelissier, directeur de recherche à l’université Gustave Eiffel à Lyon, alors que les batteries peuvent durer au moins 7 à 8 ans selon lui.

Les différents modèles de batteries automobiles existants compliquent par ailleurs la mise en place d’un recyclage standardisé, comme pour les téléphones et ordinateurs portables qui disposent déjà d’une filière bien rodée. « Il faudra attendre le début des années 2030 » pour que le marché soit mûr, prévoit Alex Keynes, de l’ONG Transport & Environment. La coentreprise suédoise et norvégienne Northvolt–Hydro se présente en pionnier sur ce créneau. Elle avance l’objectif de récupérer l’équivalent de 500.000 batteries d’ici à 2030.

L’Union européenne met aussi la pression. Selon un accord trouvé en décembre 2022, les batteries des véhicules électriques devront, à partir de 2031, incorporer 16% de cobalt recyclé ainsi que 6% de lithium et nickel recyclés. De plus, les industriels devront recycler au moins 70% du poids des batteries avant 2031. « S’ils récupèrent de nouveaux composants comme le graphite, ils pourront ainsi répondre à ces exigences », souligne Anna Vanderbruggen.

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