Dans le cadre de la Décennie internationale d’action « L’eau et le développement durable », les Nations unies ont organisé en mars 2023 une grande conférence internationale sur l’eau, la première depuis 1977. Les défis liés à l’eau n’ont jamais été aussi importants : 2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable ; le manque d’accès à l’eau potable, à l’hygiène et à l’assainissement reste la première cause de mortalité dans le monde, et la situation a malheureusement tendance à s’aggraver.
Mais un autre aspect ne doit pas être négligé : aurons-nous assez d’eau pour… manger ? Car l’agriculture est de loin la première utilisatrice de l’eau douce et, avec le dérèglement climatique, sécheresses et inondations vont se liguer avec les pollutions pour poser de nouveaux défis à l’agriculture, et donc l’alimentation mondiale. L’occasion de faire le point sur cette question complexe.
Il y a beaucoup d’eau sur terre, mais seulement une très faible partie est réellement « utile », et elle est très mal répartie
L’eau recouvre notre « Planète bleue » à 72 % les 509 millions de km2 de sa surface, mais sur une faible profondeur (maximum 10 kilomètres, alors que le rayon de la Terre en mesure 6 371 !). Le volume total de l’eau est d’un peu moins de 1 400 millions de km3. Ce qui représente une grosse bulle d’à peine 1 400 kilomètres de diamètre. Cette quantité somme toute limitée reste stable à travers les âges, car la pesanteur terrestre est suffisante pour la maintenir : la Terre ne sème pas son eau dans l’espace intersidéral comme une vulgaire comète !
Malheureusement, l’eau est à plus de 97 % salée : océans, mers intérieures, mais aussi certaines nappes souterraines. L’eau douce n’en représente que 2,8 % qui sont pour la plupart indisponibles (en particulier figées dans les glaces polaires ou trop profondes). Au total, l’eau douce disponible est un bien rare qui ne pèse que 0,7 % du total, et tiendrait, si on la rassemblait, dans une bulle d’à peine 270 kilomètres de diamètre…
SI ON LA RASSEMBLAIT, L’EAU DOUCE DISPONIBLE TIENDRAIT DANS D’UNE BULLE D’À PEINE 270 KILOMÈTRES DE DIAMÈTRE…
De plus, cette eau douce accessible est très mal répartie sur le globe : un Brésilien dispose (en moyenne) de 70 fois plus d’eau qu’un Algérien et 233 fois plus qu’un Libyen !
L’EAU DOUCE EST RÉPARTIE DE FAÇON TRÈS INÉGALE : L’ AMÉRIQUE LATINE DISPOSE (EN MOYENNE) DE PLUS DE 35 000 M3 D’EAU DOUCE RENOUVELABLE PAR HABITANT ET PAR AN ET L’EUROPE 3 FOIS MOINS ; MAIS L’ALGÉRIE N’EN A QUE 500 ET L’ARABIE SAOUDITE OU LA LIBYE 150.
CHACUN SAIT QUE, S’IL PLEUT ÉNORMÉMENT EN AMAZONIE, AU BANGLADESH OU DANS LE SUD-EST ASIATIQUE, IL NE PLEUT PRESQUE PAS AU SAHARA, DANS LE DÉSERT DE GOBI OU AU CENTRE DE L’AUSTRALIE. MAIS ON A AUSSI DE GRANDES PÉNURIES DANS LE CENTRE-OUEST DES ÉTATS-UNIS ET DE LA CHINE.
L’eau douce sert d’abord à se nourrir, le commerce international alimentaire compense un peu sa mauvaise répartition
Beaucoup de gens qui habitent en ville pensent que l’eau douce sert d’abord à la chasse d’eau des toilettes ou à prendre une douche, voire à remplir les piscines, et réclament des efforts sur ces aspects (surtout pour les autres !). Or, ce n’est pas du tout le cas : l’eau douce disponible sert d’abord à faire pousser les plantes. Ces dernières nous ont en effet été « livrées » avec une malfaçon incroyable : elles ne disposent pas de moteur pour faire monter la sève, et comptent donc uniquement pour ce faire sur la capillarité, c’est-à-dire que, si la plante n’a pas transpiré, la sève ne monte pas et elle périclite ! Donc… la plante passe sa vie à transpirer, ce qui consomme énormément d’eau.
C’est ainsi qu’il faut disposer en moyenne d’une tonne d’eau pour produire un seul kilo de céréales. Certaines céréales sont adoptées à la pluviométrie locale. C’est le cas du blé en Europe, une plante qui a besoin d’eau entre mars et juin quand, en général, il pleut. En revanche, quand on passe au maïs, une plante originaire du tropique humide, il a besoin d’eau entre juin et septembre, et il est donc prudent de garder un peu d’eau de l’hiver pour pouvoir l’irriguer l’été !
D’où la notion « d’eau virtuelle », c’est-à-dire la quantité d’eau qu’il a fallu consommer dans les champs pour pouvoir amener un aliment sur la table du consommateur. On a vu ci-dessus qu’il y a au moins une tonne d’eau dans un kilo de pain. La situation s’aggrave évidemment beaucoup dans le cas des aliments composés comme la viande ou les laitages (car il faut alors compter toute l’eau qui a servi à faire pousser les plantes qu’ont mangées les animaux que l’on mange).
Et aussi, dans le cas des fruits, car il a fallu faire transpirer sérieusement un arbre pour pouvoir cueillir des fruits ; si la tomate est encore relativement économe avec 214 litres pour un kilo, on arrive à 560 litres par kilo d’oranges et 3 300 litres par kilo de figues ! Le summum étant atteint pour les graines : il a fallu 16 tonnes d’eau pour faire pousser un caféier et en extraire un kilo de café et 17 tonnes pour un kilo de chocolat !
À titre anecdotique, observons qu’il y a 2 fois plus d’eau dans un thé que dans un café ! Car le Camellia sinensis produit beaucoup plus de feuilles de thé que le caféier ne produit de grains de café !
CONSOMMATION EN EAU DE QUELQUES FRUITS ET LÉGUMES CULTIVÉS. © M. M. MEKONNEN A. Y. HOEKSTRA, HYDROL. EARTH SYST. SCI., 2011.
LES ALIMENTS À L’EMPREINTE EAU LA PLUS ÉLEVÉE. IL Y A PRESQUE 90 FOIS PLUS D’EAU (VIRTUELLE) DANS UN KILO DE CHOCOLAT QUE DANS UN KILO DE CAROTTES !
C’est ainsi que l’on estime qu’un Français qui mange de la viande consomme virtuellement 4 000 litres d’eau par jour, soit l’équivalent de 20 bains, 50 douches, 60 lessives ou 400 chasses d’eau ! Pour nourrir un végétarien, il faut quand même 1 500 litres d’eau tous les jours, l’équivalent de 19 douches… Les manifestations qui se multiplient en France dénonçant « l’accaparement » des eaux disponibles par les agriculteurs sous-estiment cette réalité : on a besoin de beaucoup plus d’eau pour manger que pour boire ou se laver, et l’ensemble de la population profite largement de l’eau utilisée par les agriculteurs.
ON A BESOIN DE BEAUCOUP PLUS D’EAU POUR MANGER QUE POUR BOIRE OU SE LAVER.
On peut ainsi regarder autrement le commerce international de produits alimentaires. Par exemple, l’Égypte est un pays désertique qui ne peut cultiver que l’étroite vallée du Nil, soit à peine 4 % de son territoire. Pour nourrir ses 110 millions d’habitants, il est un très gros importateur de blé (on a vu que la guerre en Ukraine l’a beaucoup fragilisé). Mais, du point de vue des disponibilités en eau, c’est une conduite parfaitement rationnelle puisque, pour pouvoir produire les 10 millions de tonnes de blé qu’elle importe, il a fallu engager 10 milliards de tonnes d’eau, ce qui représente l’équivalent du débit annuel de la Seine. En quelque sorte, on lui fournit par cargo le deuxième fleuve que le pays n’a pas…
POUR PRODUIRE LE BLÉ QU’IMPORTE LA SEULE ÉGYPTE, IL A FALLU MOBILISER LA QUANTITÉ D’EAU QUI PASSE ANNUELLEMENT PAR LA SEINE.
Vu comme cela, des pays comme Malte, le Koweït, la Jordanie ou Israël dépendent de façon très importante de l’eau virtuelle qu’ils importent, et le Brésil, l’Argentine, le Canada exportent énormément d’eau ; le commerce international rétablit un certain équilibre !
La France exporte beaucoup d’eau sous forme de blé, mais en importe aussi énormément sous forme de soja, de coton, de café, de thé et de cacao.
Le volume des échanges d’eau virtuelle lié au commerce international de produits d’origine agricole est actuellement estimé à 700 milliards de m3 par an, soit 13 % de la consommation mondiale d’eau dans l’agriculture…
N’oubliez pas de lire prochainement la suite 2/3 de cette série : « De l’eau pour manger s’il vous plait ! Les pénuries d’eau vont s’aggraver et malheureusement provoquer des conflits et même des guerres ».
FUTURA-SCIENCE