Malgré la crise énergétique, le déclin du charbon se poursuit partout dans le monde en 2022, selon le nouveau rapport de l’ONG Global Energy Monitor. Partout, sauf en Chine, où les projets d’installation de nouvelles centrales sont en pleine croissance.
C’est une rare bonne nouvelle dans la lutte contre le dérèglement climatique. Dans une étude publiée jeudi 6 avril, l’ONG Global Energy Monitor indique qu’en 2022, les efforts mondiaux se sont poursuivis pour sortir du charbon, source d’énergie parmi les plus néfastes pour le climat. Et ce alors même que la Russie coupait son robinet de gaz aux pays occidentaux, conséquence de la guerre en Ukraine, entraînant une crise de l’énergie inédite et faisant craindre un retour massif du charbon.
L’ONG, qui publie un bilan de la production de charbon chaque année, enregistre ainsi des progrès partout dans le monde, sauf en Chine. Le nombre de centrales à charbon en exploitation a ainsi globalement reculé sur l’ensemble de la planète. Plusieurs projets de construction ont aussi été annulées, par exemple aux Émirats arabes unis.
D’après l’étude, aucun nouveau projet au charbon n’est par ailleurs en considération dans l’Union européenne, en Amérique du Nord ou encore en Afrique du Nord. Au Moyen-Orient, une centrale actuellement en construction en Iran est présentée comme la dernière qui sera mise en fonctionnement.
Les États-Unis figurent en haut du tableau des bons élèves : leur production d’électricité au charbon a diminué de 13,5 gigawatts (GW). C’est la moitié de la baisse mondiale, estimée à 26 GW en 2022.
Dans l’UE, un recours au charbon limité
L’Union européenne, quant à elle, affiche une baisse de seulement 2,2 GW. Un chiffre faible par rapport à l’année 2021, quand elle avait atteint près de 15 GW – un record. En effet, face à la crise du gaz, sept pays ont autorisé le redémarrage ou l’exploitation de centrales à charbon. Parmi eux, l’Allemagne et l’Autriche, mais aussi les Pays-Bas, qui sont revenus sur une loi limitant le fonctionnement des centrales à 35 % de leur capacité. La France, de son côté, a relancé sa production en Moselle. Au total, au sein de l’UE, 26 centrales à charbon déjà à l’arrêt ou dont la fermeture était prévue ont finalement fonctionné pendant l’hiver, selon les chiffres communiqués par Global Energy Monitor.
« Il s’agissait de prioriser la sécurité énergétique, dans un contexte de craintes de pénuries », rappelle Nicolas Berghmans, responsable Europe et expert énergie-climat à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). « Mais finalement, cette vingtaine de centrales a été peu utilisée et le ‘retour au charbon’ qu’on craignait n’a pas eu lieu. »
« C’était pourtant loin d’être gagné. Après la sécheresse historique de l’été, les capacités en hydroélectricité étaient limitées et, en France, nous faisions face à l’arrêt de plusieurs de nos réacteurs nucléaires », rappelle le spécialiste. « Les dégâts ont pu être limités grâce aux mesures de sobriété qui ont bien fonctionné, aidées par un hiver doux. Elles ont permis de baisser la consommation énergétique aussi bien en gaz qu’en électricité pendant l’hiver », salue-t-il.
« Au-delà des résultats pour 2022, cela montre que le charbon n’est plus considéré comme la première réponse en cas de crise », salue-t-il. « Dans l’UE, cela a par ailleurs surtout entraîné une poussée des investissements dans les énergies renouvelables et, si cela se perçoit peu en 2022, cela se ressentira dans les prochaines années. C’est très encourageant. »
La Chine à contre-courant
Mais à l’opposé de cette dynamique enclenchée dans une large partie du monde, la Chine semble marcher à contre-courant et vient noircir le tableau. « En 2022, Pékin a augmenté de 26,8 GW ses capacités de production, ce qui a compensé les arrêts qui ont été effectués dans le reste du monde (23,9 GW) », dénonce Global Energy Monitor.
Le pays possède désormais une capacité de production de 365 GW, contre 172 GW en moyenne ailleurs. Plus inquiétant encore, à elle seule, la Chine représente aujourd’hui 68 % des projets liés au charbon en développement dans le monde, et 72 % de ceux en préparation.
« De par sa taille et sa population, la consommation énergétique de la Chine est forcément très importante », rappelle Thibaud Voïta, chercheur associé au Centre énergie et climat de l’Institut français des relations internationales (Ifri). « Et l’un des défis majeurs pour Pékin reste de répondre à une demande en énergie en constante augmentation depuis plusieurs années. »
Un défi d’autant plus difficile à relever, note le chercheur, dans une année 2022 marquée par la hausse du prix du gaz liée à la guerre en Ukraine, la reprise économique après la pandémie de Covid-19 mais aussi des vagues de chaleur à répétition. Ces dernières ont en effet entraîné un usage massif de la climatisation, faisant exploser la consommation en électricité à un moment où les capacités en hydroélectricité étaient au plus bas.
« Dans une certaine mesure, cette poussée échappe par ailleurs au contrôle de Pékin et est plutôt le fait de gouvernements locaux ou provinciaux », poursuit Thibaud Voïta. « Développer des centrales à charbon reste perçu pour beaucoup comme la meilleure solution pour répondre à la demande à court terme tout en garantissant à la population un prix d’électricité le plus bas possible. » Certaines provinces ont ainsi vu leurs nouvelles capacités dépasser celles de pays entiers. Parmi elles, la Mongolie-Intérieure en comptabilise plus que l’Inde et le Japon réunis, qui restent pourtant des gros producteurs de charbon.
Ce sombre bilan chinois est cependant à nuancer, insiste le spécialiste. « En 2019, le charbon représentait 57,7 % du mix énergétique chinois. En 2022, c’est 56,2 %. Nous sommes donc plutôt sur une dynamique à la baisse », note-t-il. « Sans compter qu’en parallèle, la Chine investit massivement dans les énergies renouvelables. Elles représentaient, avec le nucléaire, 15,3 % du mix énergétique en 2019. Cette part a grimpé à 17,4 % en 2022 et l’objectif est d’atteindre 20 % en 2025. » De quoi avoir quelques raisons d’espérer.
Objectif zéro charbon à l’horizon 2040
À l’échelle mondiale, « aujourd’hui, presque un tiers des capacités globales des centrales de production électrique à charbon a une date de mise en arrêt, et la grande majorité des capacités restantes est examinée sous l’angle des objectifs de la neutralité carbone », conclut le Global Energy Monitor. « Une réalité complètement inimaginable il y a dix ans », salue-t-il encore.
Malgré tout, ces avancées restent toujours incompatibles avec l’objectif de l’accord de Paris. Pour parvenir à limiter le réchauffement climatique sous la barre des +2 °C, l’ensemble des centrales existantes devraient fermer d’ici 2030 dans les pays les plus riches, et sur l’ensemble de la planète d’ici 2040.
Nicolas Berghmans veut croire que l’objectif 2030 « reste jouable » dans l’Union européenne. « À une condition : poursuivre le déploiement massif des énergies renouvelables. C’est vraiment le nerf de la guerre », insiste-il.
« Mais quels que soient les efforts mondiaux, la Chine jouera un rôle déterminant », insiste de son côté Thibaud Voïta. « Pékin affirme sur la scène internationale vouloir atteindre le pic de ses émissions en 2030 et la neutralité carbone en 2060. La seule façon pour elle de tenir cet objectif sera de renoncer au charbon. Il faut désormais qu’elle accepte d’entamer ce processus au plus vite. »
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