Élections en Polynésie française: «Le futur de la Polynésie dans le cadre de la République est en jeu»

Premier tour ce dimanche 16 avril des élections territoriales en Polynésie française. Quelque 209 000 électeurs sont appelés à choisir leurs 57 représentants à l’Assemblée parmi sept listes. Mais seules deux d’entre elles sont portées par des partis implantés dans les cinq archipels du territoire et disposent de réelles chances de décrocher une majorité : celle du président sortant, l’autonomiste Edouard Fritch, du Tapura, et celle du député indépendantiste Moetai Brotherson, du Tavini.

Quels sont les enjeux ? Sémir Al Wardi, politologue et maître de conférences en sciences politiques à l’université de la Polynésie française, répond aux questions de RFI.

RFI : Quelle est l’importance de ce scrutin local pour les Polynésiens ?

C’est pratiquement l’élection la plus importante parce que les Polynésiens vont voter pour l’Assemblée de Polynésie française, qui est le Parlement local, et les représentants élus vont ensuite élire le président de l’Assemblée, puis le président de la Polynésie. Or ce président est la clé de voûte des institutions là-bas, c’est lui qui a le plus de compétences. Il est élu pour cinq ans, il dirige la Polynésie avec, en main, deux outils importants : d’une part une autonomie qui lui confère beaucoup de compétences sur le plan économique et social ; et d’autre part, il y a ce qu’on appelle « la spécialité législative ».

Cela veut dire que les lois de la République ne s’appliquent pas, en général, en Polynésie et que le président, le gouvernement et l’Assemblée locale prennent les décisions qui normalement relèvent de la loi en métropole. D’où l’importance de cette élection. Il y a également une autre dimension, à savoir que le clivage gauche-droite n’existe pas en Polynésie. C’est plutôt un clivage autonomistes-indépendantistes.

Et si les indépendantistes gagnent les élections, ils auront tendance à demander, soit un référendum d’autodétermination, soit de commencer la décolonisation de la Polynésie. Donc évidemment, cette élection a son importance aussi parce que le futur de la Polynésie dans le cadre de la République est en jeu.

Pourquoi l’issue du scrutin est-elle particulièrement incertaine cette année ?

Nous assistons à un rejet du pouvoir en place, le Tapura, par une partie de la population, dans tous les groupes sociaux. Autant auparavant, un pouvoir en place avait de fortes chances d’être réélu, autant cette fois-ci, on est dans l’expectative. Nous sommes dans le cadre de la République, ce qui que veut dire que si les indépendantistes gagnent, ce n’est pas pour autant qu’on va aller à l’indépendance. Il faudrait qu’il y ait un référendum d’autodétermination et que la population souhaite cette indépendance.

Or, on peut dire aujourd’hui que les indépendantistes sont minoritaires en Polynésie, et que si jamais ils votent majoritairement pour le parti indépendantiste, c’est essentiellement pour voter contre le pouvoir actuel, mais pas nécessairement pour l’indépendance.

Pendant la crise du Covid, le gouvernement en place n’a pas toujours respecté les normes qu’il avait édictées, et cela lui est reproché par la population. Le second motif de rejet relève d’une cristallisation sur le ministre de l’Économie, qui a mis en place une TVA sociale juste avant les élections législatives de 2022 qui, selon les économistes, n’était pas véritablement nécessaire et qui a participé à l’inflation.

C’est d’ailleurs un des éléments qui fait que le pouvoir en place a perdu les élections législatives, puisque les trois députés élus sont des indépendantistes [trois sièges de l’Assemblée nationale française sont dévolus à la Polynésie, NDLR].

Quels ont été les principaux thèmes sur lesquels se sont focalisés les débats en amont de ce scrutin ?

Ce qui est très intéressant, c’est qu’on n’a pas du tout parlé d’indépendance pendant plusieurs mois. Les premiers thèmes qui sont ressortis sont la cherté de la vie, l’inflation et l’emploi. On était donc sur des discussions plutôt d’ordre social et économique que politiques. Mais à la surprise disons générale, il y a environ une semaine, le paradigme a changé pour les indépendantistes puisqu’ils se sont mis à parler d’indépendance, de recours devant l’ONU, etc.

C’est nouveau et, donc, ce sera intéressant pour la suite, parce qu’il y a quinze jours entre les deux tours. Et si le parti indépendantiste maintient ce nouveau thème de l’indépendance dans la campagne, il peut perdre des voix pour les raisons déjà évoquées : c’est-à-dire que la majorité des Polynésiens ne sont pas pour l’indépendance. Comme le disait lui-même le leader indépendantiste Oscar Temaru, il est nécessaire d’éduquer le peuple polynésien pour qu’il accepte cette émancipation, et donc, on en est loin.

Le deuxième tour de ces élections territoriales aura lieu le 30 avril. L’Assemblée nouvellement constituée élira ensuite le président de la Polynésie le 10 mai.

RFI

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