Les « Moms for Liberty » sont devenues mardi le premier mouvement de parents d’élèves à être inscrit sur la liste des groupes haineux aux États-Unis par le Southern Poverty Law Center. Comment ce groupe a-t-il opéré une ascension aussi fulgurante que surprenante au sein de la galaxie des mouvements ultra-conservateurs ?
Une sacrée prouesse. Un peu plus de deux ans seulement après sa création, le mouvement « Moms for Liberty » a été ajouté mardi 6 juin à la liste des groupes haineux aux États-Unis, établie par le Southern Poverty Law Center (SPLC), la principale ONG nord-américaine de lutte contre l’extrémisme. Ce rapport annuel sur la haine aux États-Unis est devenu le document de référence sur le sujet, souligne le quotidien USA Today.
C’est la première fois aux États-Unis qu’un regroupement de parents d’élèves se retrouve ainsi désigné dangereux mouvement extrémiste, au même titre que des groupes suprématistes comme le Ku Klux Klan ou les Proud Boys.
Des méthodes brutales
« Ce sont des guerrières qui se battent contre l’éducation inclusive et sont devenues célèbres pour leurs méthodes de harcèlement et d’intimidation systématique », soulignent les auteurs du rapport du Southern Poverty Center.
À l’origine, pourtant, les « Moms for Liberty » n’étaient qu’un groupe de trois mères ultra-conservatrices très remontées contre une femme : Jennifer Jenkins, qui avait battu l’une des fondatrices du groupe lors d’une élection au conseil d’éducation d’une école en Floride.
Elles lui ont ensuite fait vivre un véritable enfer, comme elle l’a raconté au site Vice. Les « Moms for Liberty » sont soupçonnées d’avoir déposé une fausse plainte auprès des services de défense de la petite enfance, soutenant que Jennifer Jenkins était une droguée et frappait sa fille. Des proches du groupe ont plusieurs fois interpellé l’enfant en lui disant de « faire attention [car] ta maman fait mal aux enfants ». D’autres sympathisants faisaient le pied de grue devant la maison de Jennifer Jenkins pour l’insulter dès qu’elle mettait un nez dehors.
Les bases de la méthode « Moms for Liberty » étaient alors jetées, et ces femmes allaient bientôt en faire profiter tout le pays. En deux ans, plus de 110 000 mères en colère dans 42 États sont venues grossir les rangs de cette armée s’élevant contre tout ce qui « est woke dans l’éducation », d’après leur site Internet.
Pandémie oblige, elles ont commencé par protester contre le port du masque à l’école et les mesures de distanciation sociales. Leur mission ? « Raviver les flammes de la liberté » dans des établissements accusés de vouloir priver les enfants de cette sacro-sainte liberté sous couvert de lutte contre le coronavirus.
Croisées contre les livres « impies » et la communauté LGBT+
Lorsque la crise sanitaire a touché à sa fin, ces « Moms for Liberty » ont rebondi en devenant des croisées contre les livres « impies ». Un livre dans lequel on évoquait la reproduction des hippocampes ? À bannir. Une BD dans laquelle deux adolescents dorment dans le même lit ? Trop « explicite », et donc à faire disparaître aussi.
En revanche, le livre controversé « The Making of America » est tout en haut de la liste des ouvrages recommandés par les « Moms for Liberty ». Ce précis d’histoire des années 1980 prétend notamment que les propriétaires des champs de coton du sud des États-Unis étaient les « plus grandes victimes de l’esclavage ».
Leur haine du système éducatif actuel, qu’elles qualifient de « marxiste », les a conduites à réclamer le démantèlement du ministère de l’Éducation, mais aussi que les syndicats d’enseignants soient traités comme des organisations terroristes.
Mais ce groupe de mères ultra-conservatrices s’est aussi trouvé un autre cheval de bataille : chasser tout ce qui est pro-LGBT. Elles dénoncent, par exemple, tous les profs soupçonnés de quelques sympathies que ce soit à la cause des homosexuels comme de « dangereux prédateurs qui veulent ‘sexualiser’ les enfants », souligne le Southern Poverty Law Center.
Leur traque des minorités sexuelles ne se limite pas aux salles de classes. Elles qualifient de « maladie mentale normalisée par les prédateurs sexuels » tout ce qui s’éloignerait de leur sacro-saint modèle hétérosexuel. Twitter a même fermé temporairement le compte des « Moms for Liberty » en 2022 pour homophobie.
Un succès fulgurant à l’extrême droite
Au-delà de l’idéologie prônée par ces femmes, le SPLC s’inquiète surtout de la rapidité avec laquelle les « Moms for Liberty » ont gagné en influence dans les milieux conservateurs. « Elles sont souvent comparées aux mouvements de la ‘Majorité morale’ des années 1980 [très influent sous la présidence de Ronald Reagan, NDLR] et du Tea Party [mouvement libertarien anti-Obama, NDLR] », signale le Washington Post.
Elles ont déjà réussi à faire de leur convention nationale – qui n’en est pourtant qu’à sa deuxième édition – l’un des passages obligés des poids lourds du Parti républicain. L’ensemble des candidats conservateurs à l’élection présidentielle de 2024 – à commencer par Rond DeSantis et Donald Trump – vont prendre la parole à l’occasion de la grand-messe des « Moms for Liberty » qui se tiendra à Philadelphie du 29 juin au 2 juillet.
Cette ascension du groupe dans la galaxie conservatrice, « fulgurante » selon le magazine The New Yorker, doit beaucoup à un soutien de la première heure de certaines figures historiques de l’extrême droite américaine.
En effet, en janvier 2021, alors que le groupe n’existe que depuis quelques semaines et ne compte qu’une poignée de membres en Floride, les fondatrices des « Moms for Liberty » étaient les invitées d’honneur de l’émission radio de Rush Limbaugh, l’une des voix les plus influentes à la droite du Parti républicain. Un mois plus tard, c’est le présentateur vedette de Fox News, Tucker Carlson, qui parle de ces « mères en colère ».
La droite ultra-conservatrice américaine avait tout à gagner à voir ce mouvement grandir. L’activisme de ces femmes dans les conseils scolaires est de la plus haute importance pour les républicains. Il s’agit, d’une part, de démontrer qu’on peut être une femme tout en étant très à droite : Donald Trump, tout comme son principal rival à droite Ron DeSantis, « ont toujours eu du mal à séduire l’électorat féminin », rappelle le magazine The New Republic.
D’autre part, « on a souvent eu tendance à sous-estimer le rôle des questions d’éducation dans le processus de mobilisation des électeurs conservateurs dans l’Amérique moderne », expliquait à France 24, en avril 2023 Robert Mason, spécialiste de la politique américaine et de l’histoire du Parti républicain à l’université d’Edimbourg. Ces conseils scolaires « sont des lieux de politisation très importants pour les conservateurs », ajoutait alors Tamara Boussac, spécialiste des États-Unis à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. Le parti républicain espère que ces « Moms for Liberty » deviendront une arme de recrutement massive.
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