Comment la Chine risque d’exporter ses déboires économiques

La crise immobilière qui affecte la Chine risque de faire des dommages collatéraux en dehors du pays, même si cette situation peut apparaître, avant tout, comme un problème interne au pays.

L’économie chinoise se fissure de plus en plus et chacun se demande si cette crise va affecter l’édifice économique mondial ou rester au sein de la maison Chine. La Banque mondiale a jugé, lundi 2 octobre, que la propagation était en marche : elle estime dorénavant que l’Asie va connaître une croissance de 4,5 % en 2024 alors qu’avant l’été, l’institution misait encore sur une hausse de 4,8 % du PIB de cette région.

La Banque mondiale soutient que cette révision à la baisse de ces prévisions résulte d’une Chine qui vacille de plus en plus.

Un problème sino-chinois ?
Les récents développements de la saga Evergrande, le deuxième promoteur immobilier chinois – mise sous surveillance policière de son PDG et suspension de la cotation de l’action –, illustrent l’accélération des soucis économiques chinois.

La chute de ce géant « révèle l’explosion d’une bulle immobilière qui était en gestation depuis des décennies, entraînant une sévère baisse de la demande intérieure et de l’investissement, ce qui pèse sur l’économie en général », résume Xin Sun, spécialiste de l’économie chinoise au King’s College de Londres.

En théorie, cette détérioration de la conjoncture « n’a pas vocation à avoir le même impact sur le monde que la faillite de Lehman Brothers », résume Shaun Breslin, spécialiste de la politique économique chinoise à l’université de Warwick.

En effet, en 2008, la chute de la banque américaine avait entraîné une réaction en chaîne à travers le monde parce que tout le monde avait massivement investi dans le système financier américain. Dans la situation actuelle, « les investissements étrangers en Chine sont certes importants, mais pas à ce point-là », note Carlotta Rinaudo, spécialiste de la Chine pour l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.

L’économie globale souffre de maux qui n’ont pas grand-chose à voir avec un ralentissement économique en Chine. « La plupart des puissances occidentales ont avant tout des problèmes d’inflation forte et de marché du travail tendu. La baisse des exportations vers la Chine liée au ralentissement économique dans ce pays affecte moins les économies occidentales », assure Xin Sun du King’s College.

L’Asie en première ligne des dommages collatéraux
Pour autant, difficile d’affirmer que si la deuxième puissance économique du monde s’enrhume, le reste du monde ne va pas au moins un peu éternuer. « Tout dépend d’où vous êtes et ce que vous faites », souligne Carlotta Rinaudo de l’ITSS Verona. Ainsi, par exemple, les géants miniers australiens BHP et Rio Tinto connaissent actuellement une baisse importante de leurs exportations car le secteur immobilier chinois était très friand de leur fer et de leur charbon.

Si la Chine finit par exporter son ralentissement économique, « le reste de l’Asie sera à l’épicentre de l’onde de choc, car c’est la région qui est la plus intégrée à la chaîne de valeur et de production mise en place par Pékin. Toute baisse de la demande chinoise va d’abord se ressentir dans cette région », assure Winnie King, spécialiste de la Chine et de l’économie de l’Asie de l’Est à l’université de Bristol.

Les pays qui misaient beaucoup sur les « Nouvelles routes de la soie » – le gigantesque programme d’investissement chinois dans des projets d’infrastructure – doivent aussi se préparer à des périodes de vaches maigres. Avec la montagne de dettes qui s’accumulent, les banques et les pouvoirs publics « vont avoir de moins en moins envie d’investir leurs précieuses réserves à l’étranger », note Xin Sun.

Les gros exportateurs d’hydrocarbures – pétrole, gaz – et autres matières premières vers la Chine vont aussi voir le volume des commandes baisser. « Ce sont essentiellement des pays africains qui sont concernés par ce risque », estime Milan Babic, spécialiste d’économie politique internationale à l’université de Roskilde (Danemark), qui a travaillé sur la dépendance de l’économie mondiale à la Chine.

La contagion au reste du monde passera probablement aussi par le comportement des consommateurs chinois. « Ils sont déjà connus pour être moins dépensiers qu’aux États-Unis ou qu’en Europe, et l’incertitude économique va renforcer leur tendance à l’épargne », explique Winnie King. De grands groupes de luxe qui misent l’essentiel de leur croissance sur la Chine risquent ainsi de vendre moins d’accessoires aux Chinois.

Les problèmes économiques chinois vont-ils coûter à Bernard Arnault, le PDG de l’empire français du luxe LVMH, sa place de première fortune mondiale ?

Plus généralement, « toutes les sociétés qui ont inscrit la Chine comme principal moteur d’une hausse des ventes dans leurs plans de croissance risquent de décevoir les investisseurs », assure Winnie King.

Alimenter les tensions internationales
La contagion des problèmes économiques chinois « passe aussi par des considérations politiques et géopolitiques », ajoute cette spécialiste. « La crise de l’immobilier chinois va contribuer au sentiment de malaise et au manque de confiance qui existe entre la Chine et les puissances occidentales », estime Shaun Breslin.

D’un côté, « les investisseurs étrangers vont avoir davantage de raisons d’être plus prudents », affirme ce spécialiste de la politique économique chinoise. Face à la hausse du chômage des jeunes et à la montée d’un certain malaise social dû aux problèmes économiques, Pékin peut être tenté d’opérer un tour de vis sécuritaire supplémentaire, ce qui pourrait, par effet de ricochet, rendre le pays davantage fermé aux investisseurs étrangers.

D’un autre côté, si la Chine commence à faire davantage attention à ses investissements, elle va être tentée de faire profiter de ses largesses en priorité les pays alliés. Autrement dit, les États-Unis et ses alliés européens – avec qui les relations diplomatiques sont très tendues – risquent de pâtir d’un arbitrage très géopolitique de Pékin.

Mais « il peut aussi y avoir des gagnants à ce ralentissement économique », assure Carlotta Rinaudo. Les pays qui se battent contre l’inflation en font partie, car « en raison de la déflation du yuan, les exportations chinoises coûtent moins cher », note la spécialiste.

C’est peut-être aussi une bonne nouvelle pour le climat. « La Chine va être moins gourmande en énergie, ce qui signifie que les prix de l’énergie – y compris « verte » – vont baisser. C’est potentiellement une bonne nouvelle pour les pays qui veulent investir davantage dans la transition énergétique », conclut Milan Babic.

france24

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