Manche : « On ne peut pas forcer un migrant à être secouru » par les forces françaises

InfoMigrants : Comment se déroule un sauvetage dans la Manche ?

Véronique Magnin : Lorsqu’on arrive près d’un canot de migrants, une vedette s’approche des exilés. Le bateau mère, plus gros, reste à distance.

On ne monte jamais à bord de ces canots instables pour plusieurs raisons. Tout d’abord, pour rester maître de la situation. Et deuxièmement, pour des questions de sécurité : on ne peut pas prendre pas le risque que tous les passagers viennent en même temps d’un côté du canot et que celui-ci se renverse.

On fait monter les volontaires. On commence par extraire les plus faibles. On traite ce genre d’urgence comme pour une gestion de foule. La procédure est la même si l’évacuation du canot est partielle ou complète.

IM : Les migrants peuvent-ils refuser d’être secourus ?

VM : Oui. On remarque d’ailleurs de plus en plus qu’un débat s’installe dans les canots quand les navires de secours s’approchent d’eux.

Certains veulent être secourus, et d’autres non. Les personnes en état d’hypothermie, les enfants en bas âge ou les migrants plus âgés nous demandent souvent de l’aide. Idem lorsque une embarcation a une panne de moteur ou qu’un des boudins est crevé. Là, il n’y pas de discussion, les personnes demandent à être secourues.

Depuis janvier, 5 500 migrants sont revenus côté français

Mais parfois, l’ambiance peut devenir tendue si les migrants ne sont pas d’accord : des personnes crient, disent qu’elles veulent venir avec nous, d’autres refusent d’être secourus par les Français… une discussion commence donc en pleine mer.

Dans la loi, rien n’oblige les navires à secourir de force une embarcation. Les migrants peuvent donc s’opposer à une assistance extérieure. Parfois, ils refusent d’être secourus par les forces françaises car cela signifie qu’ils seront débarqués sur les côtes françaises.

En franchissant les eaux anglaises, les exilés savent que ce seront les autorités britanniques qui interviendront et les emmèneront à Douvres, dans le sud du Royaume-Uni. Les « pushbacks » maritimes depuis le Royaume-Uni vers la France sont interdits.

C’est aux exilés de prendre la décision. On ne peut pas dire : « Soit on secourt tout le monde, soit on ne secourt personne ».

On ne peut pas non plus forcer quelqu’un à être secouru, même s’il est mal en point.

IM : Que faites-vous pour les migrants qui refusent le sauvetage ?

VM : Si les migrants refusent le sauvetage, on ne prend pas le risque qu’ils en viennent aux mains contre nous. Il faut bien comprendre que pour les migrants désireux de rejoindre l’Angleterre, être pris en charge par les forces françaises est vécu comme un échec.

Donc on les laisse partir, en prenant soin de vérifier les éléments factuels : s’il y a de l’eau au fond du canot, l’état général des personnes à bord…

Cela permet de préparer l’intervention sanitaire en cas d’urgence.

Des migrants tentent de traverser la Manche. Crédit : Reuters
Des migrants tentent de traverser la Manche. Crédit : Reuters

Ensuite, nous maintenons la surveillance à distance, si nous le pouvons. Mais parfois, c’est impossible car il y a plusieurs embarcations en détresse dans l’eau.

Du point de vue du droit maritime, nous devons faire en sorte que les risques soient minimisés.

En cas de détresse, un bateau britannique peut rentrer dans les eaux françaises [pour secourir une embarcation], et vice versa, sans demander l’autorisation des autorités responsables de la zone.

IM : Y a-t-il plus de migrants qui refusent d’être secourus ces derniers mois ?

VM : Oui, on constate plus de cas de refus, mais cela s’explique par l’augmentation du nombre de migrants à bord des embarcations. Plus il y a de personnes, plus il y a de débat lors des interventions.

En 2022, entre 30 et 40 personnes étaient entassées dans un canot de 11 mètres, aujourd’hui elles sont environ 60.

On pense que ce sont les passeurs qui informent les migrants de leur droit de refuser un sauvetage. Dans les camps, on sait que des tracts avec les numéros des secours circulent.

Mais malgré ce phénomène, nous continuerons toujours sur la même ligne : sauver des vies.

IM : Dans quel état physique sont les naufragés à qui vous portez secours ?

VM : La majorité des gens sont mouillés depuis plusieurs heures. Ils ont froid. Les cas d’hypothermie sont très fréquents. On voit aussi beaucoup de personnes brûlées à cause du carburant qui se mélange à l’eau salée sur leur peau.

Etre pris en charge par les autorités françaises est vécu comme un échec

Les personnes blessées sont soignées sur notre bateau. On prévoit aussi quelques vêtements secs pour les plus faibles, souvent les femmes et les enfants.

On donne à tout le monde une couverture de survie, une boisson chaude et un biscuit.

Le navire de sauvetage français "Abeille Normandie" est vu en mer alors qu'il escorte un groupe de migrants sur un canot pneumatique, le 2 octobre 2023. Crédit : Reuters
Le navire de sauvetage français « Abeille Normandie » est vu en mer alors qu’il escorte un groupe de migrants sur un canot pneumatique, le 2 octobre 2023. Crédit : Reuters

Ensuite, on les laisse au port et nous repartons en mer. Souvent, plusieurs embarcations sont parties la même nuit, donc on doit aller secourir d’autres personnes. Dès qu’il y a un créneau météo plus favorable, les gens tentent de passer au Royaume-Uni.

À leur arrivée dans un port français, les migrants sont récupérés par la police aux frontières et les pompiers. Les associations déplorent l’absence de prise en charge des autorités. Souvent, les migrants, trempés, regagnent leur campement par leurs propres moyens.

Cette année, 30% de personnes en moins ont pris la mer par rapport à 2022. Mais on compte quand même 34 000 migrants qui ont tenté la traversée de la Manche en 2023.

Et au total depuis janvier, 5 500 personnes sont revenues du côté français. La plupart ont été secourues par nos services, mais certaines ont fait demi-tour d’elles-mêmes.

Parfois, lorsque le canot des migrants prend l’eau ou que le moteur tombe en panne à quelques mètres des eaux françaises, ils rebroussent chemin par leurs propres moyens.

Ces dernières années, nos moyens mis en œuvre se sont adaptés pour faire face à l’augmentation du flux. En 2022, quatre bateaux étaient en alerte, et en 2023 ce sont six navires. Lors de journée ou de nuit chargée, nous pouvons utiliser d’autres bateaux de l’État. Et en dernier recours, nous faisons appel à des moyens privés.

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