Au cœur des élections présentielles du 14 janvier aux Comores, il y a surtout de forts enjeux économiques. De part et d’autre, les attentes sont nombreuses, d’autant que le pays est promis à une émergence d’ici 2030 dont population et secteur privé restent expectatifs des résultats.
Deuxième producteur mondial de vanille et réservoir d’essences (ylang ylang et clou de girofle en l’occurrence), l’archipel aux parfums est en quête d’un développement économique dont la trajectoire, selon les autorités, a été mise à mal par le contexte mondial difficile de ces quatre dernières années. Le sujet est donc au cœur des priorités de la population et des candidats dont les promesses sont nombreuses pour drainer le maximum d’intérêts d’environ 340.000 électeurs parmi les 870.000 habitants des trois îles.
Des promesses économiques fusent de tous bords
Le président sortant, lui, brandit son Plan Comores Emergent lancé juste après la présidentielle de 2019 et pour lequel il avait conduit un roadshow à Paris. Cinq ans plus tard, Azali Assoumani évoque comme réalisations : la construction du CHU El Maarouf à Moroni, inauguré en mars prochain et qui vise non seulement à résoudre les questions de santé publique en réorientant les 15 milliards de franc comoriens dépensés annuellement par la population à l’étranger pour les soins de santé, mais aussi développer le tourisme médical.
Il met également en avant les projets développés dans l’énergie thermique et photovoltaïque, la réhabilitation de routes ou les réformes entreprises en matière de juridiction du commerce ou du travail.
« Malgré le contexte difficile, beaucoup a été fait sur le plan diplomatique et économique », déclare Mohamed Issimaila, porte-parole d’Azali. « Avant quand on parlait des Comores, les gens confondaient avec le Cameroun. Aujourd’hui, notre pays est connu. Cette notoriété permet aujourd’hui de susciter l’intérêt des investisseurs afin de réaliser les projets économiques portés par le président, parce que personne n’investit dans ce qu’il ne connait pas », explique-t-il.
Sur les cinq prochaines années, le président sortant promet notamment : le doublement de la production agricole ; la construction de zones économiques et spéciales ; l’amélioration de l’accès à l’énergie ; la promotion des jeunes entreprises dans l’attribution des marchés publiques ; la transformation de l’archipel en pôle touristique de l’Océan indien avec la réalisation de quatre hôtels de référence ; la construction d’infrastructures routières, maritimes (pour mieux relier les îles), aéroportuaires avec la rénovation de l’aéroport de Moroni dont un accord a été signé avec les Emiratis il y a un mois.
L’opposition – qui a dénoncé « des irrégularités » pendant la campagne (absence de congés du président) et pendant le premier tour de l’élection (ouverture « tardive » de certains bureaux de vote, quelques retards dans l’acheminement du matériel électoral) – fait des promesses : la revalorisation des salaires ; la révision du système fiscal en faveur des entreprises locales ; l’accompagnement les acteurs de la vanille ; …. « Il nous faut unifier notre pays qui est dépolarisé, lutter contre la vie chère », déclarée à LTA Mohamed Daoudou dit « Kiki », président du parti Orange et leader de l’opposition qui, jusqu’à août 2021, était le ministre de l’intérieur du président sortant.
OMC, Zlecaf… de potentiels catalyseurs ?
Aux Comores, certains estiment qu’économiquement, le pays a longtemps souffert d’un manque de visibilité, que la présidence de l’Union africaine assurée jusqu’en février prochain par le président Azali a aidé à corriger. Les rencontres, réflexions, décisions autour de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) avec le concours de l’archipel en première ligne aurait permis au pays de se positionner davantage au niveau continental et international.
C’est d’ailleurs un des arguments de campagne du président sortant que l’opposition critique, estimant qu’il aurait avancé les élections de deux mois pour pouvoir mettre en avant sa présidence de l’UA.
L’archipel vient également de finaliser son processus d’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et espère, grâce à cela, révolutionner son commerce au cours des prochaines années. « C’est par chance que les pays acceptent de commerce avec les Comores, que ce soit pour l’exportation ou l’importation. C’est comme si vous voulez participer à la CAN sans être membre de la CAF. Cela ne peut pas fonctionner ainsi », remarque le ministre Kamalidine Souef, qui dirige la mission des Comores à l’OMC.
D’ailleurs quelques jours plus tôt, il revenait de Genève où il a participé à une réunion stratégique sur le sujet.
Pour lui, l’OMC représente une opportunité, mais aussi un challenge en termes capacité. « La proximité des Comores avec l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie, constitue vraiment une aubaine que nous allons nous employer à exploiter », assure-t-il, reconnaissant toutefois qu’il y a « beaucoup de travail » à abattre dans ce sens. Membre de la Ligue arabe et du Comesa, les Comores ambitionnent de miser davantage sur toutes ces plateformes pour se positionner à l’international.
Face aux partenaires
Cette ouverture sur le monde devrait également permettre au pays de renforcer sa coopération avec ses partenaires historiques (la France, les Etats-Unis et l’Afrique du Sud) mais aussi avec ceux qui émergent désormais comme les Emirats arabes unis devenus premier partenaire commercial des Comores ou encore la Chine dont le nombre d’entreprises présentent dans le pays augmente. Si le président Azali s’inscrit dans la continuité de ce qu’il a commencé ces dernières années, l’opposition appelle à une « diversification des partenaires, y compris ceux d’Europe ».
Le secteur privé, sur sa faim…
Au milieu de tout cela, le secteur privé, qui reste expectatif, pointe les mêmes freins au développement économique : le manque d’infrastructures, d’électricité et de moyens de financement pour les entreprises. Pour ces dernières, le prochain président et ses gouverneurs devraient contribuer à inverser la tendance commerciale actuelle où les Comores achètent beaucoup de l’extérieur ce qu’ils consomment : les patates de Tanzanie, les œufs du Yémen et d’Afrique de l’Est, les produits agroalimentaires des Emirats ou de la France…
« En tant qu’acteur privé, nous avons surtout besoin du développement des infrastructures, parce que si nous voulons compétir avec les autres pays sur le marché international, nous devons avoir les mêmes infrastructures et travailler à étoffer notre offre à l’export qui aujourd’hui n’est faite que de vanille, de clou de girofle et d’ylang ylang », explique Hamidou Mhoma, directeur régional de la Chambre de commerce et d’artisanat de Ngazidja.
Il reconnait que l’infrastructure numérique a été « considérablement améliorée » dans le pays, mais pense qu’il faudrait mener une opération visant à davantage inciter les Comoriens à travailler dans ce secteur.
« Quand on évalue dans le temps, le climat des affaires s’est amélioré aux Comores au cours de ces 30 dernières années, mais l’informel prend toujours beaucoup de place », remarque Faharate Mahamoud, vice-présidente du Mouvement des entreprises des Comores (Modec), la plus grande organisation patronale de l’archipel qui rassemble 130 entreprises dont quatre groupes chinois, un égyptien et le français Innovent qui fournit l’énergie photovoltaïque à la Société nationale d’électricité (Sonelec) ou encore Moroni Terminal, filiale de MSC, repreneur des activités de Bolloré en Afrique.
Le secteur privé comorien espère, en outre, être de plus en plus sollicité pour les projets structurants.
Au sein d’un groupe de BTP de la place, on regrette par exemple de ne pas être impliqué dans les gros projets au profit des entreprises étrangères. « Il faut qu’on nous donne notre chance, sinon personne ne saura jamais de quoi nous sommes capables », plaide l’un des managers.
La diaspora, ce « grand chantier à venir »
Un autre sujet qui aura considérablement retenu l’attention lors de cette présidentielle et dont les enjeux économiques sont importants, c’est bien celui de la diaspora qui revendique son droit de vote. En France, où ils constituent l’essentiel de la diaspora, ils sont environ 300.000 Comoriens dont les transferts de fonds ont représenté plus de 20% du PIB en 2022, selon la Banque mondiale.
« C’est vrai qu’elle participe à la vie économique du pays, mais le vote de la diaspora va être un grand chantier à venir, parce que c’est d’abord une question technique ; il faut tout un dispositif fiable pour cela », estime un dirigeant du camp présidentiel, ce que l’opposition qualifie « d’argument échappatoire ».
Avec une croissance économique qui oscille autour de 2,5% depuis plusieurs années et des perspectives économiques « favorables mais fragiles » selon la Banque africaine de développement (BAD), les Comores, qui se rêvent en archipel émergent d’ici quelques années, ont du pain sous la planche.
LTA