300 Français sont suspectés d’avoir commandité des viols d’enfants à l’étranger pour obtenir des vidéos pédo-pornographiques, une pratique qui a explosé depuis le début de la crise sanitaire.
Depuis le développement d’internet et des réseaux sociaux, la pédocriminalité prend de nouvelles formes. La dernière en date est celle du livestreaming, des vidéos réalisées en direct depuis l’étranger et qui permettent à des pédocriminels d’orchestrer, à distance, des viols et agressions sexuelles sur mineurs.
Si cette pratique n’est pas nouvelle mais existe depuis une dizaine d’années, elle a récemment explosé avec la crise sanitaire, ce qui préoccupe les autorités. La fermeture des frontières et le développement des activités en ligne y ont contribué. Plusieurs enquêtes ont été lancées par l’Office central de la répression contre les violences aux personnes : actuellement, le parquet de Paris a ouvert 12 enquêtes préliminaires et 4 informations judiciaires, selon nos confrères de Franceinfo. Ce sont au total 300 suspects qui ont été identifiés en France.
Un nouveau fléau pour remplacer le tourisme sexuel
Pendant des années, le tourisme sexuel était monnaie courante en Asie du Sud-Est, une destination privilégiée pour les pédocriminels. Le développement d’internet a offert à ces prédateurs sexuels une autre voie, moins risquée, pour assouvir leurs abus sexuels à distance : c’est en 2012 que le phénomène du viol en livestreaming a été identifié pour la première fois aux Philippines, avant de gagner peu à peu le Bangladesh, le Népal, le Laos et le Cambodge, mais aussi plus récemment les pays de l’Est comme la Roumanie. La crise sanitaire, et la fermeture des frontières qui en a découlé, a réduit l’accès à la prostitution enfantine en Asie et occasionné le développement de ces pratiques criminelles en ligne. Selon l’Unicef, les signalements de contenus liés à des abus sur des enfants ont explosé de 260% de mars à mai 2020 aux Philippines.
Ces pédocriminels investissent entre 10 et 60 euros pour avoir accès à une vidéo où un enfant se fait agresser sexuellement ou violer en direct, parfois même torturé. La personne derrière son écran peut interagir et donner des ordres pour que ceux-ci soient réalisés en instantané. Les “clients” passent commande via des forums pornographiques en précisant les actes désirés, leur durée, ainsi que le nombre d’enfants et leur âge – en moyenne, 5 ans. Comment ces enfants sont-ils livrés à des bourreaux qui agissent pour le compte de ces pédocriminels ? Si cette pratique était encadrée par des réseaux organisés, aujourd’hui c’est au sein-même des familles qu’elle se développerait, comme l’explique Katie Steel, cheffe adjointe du groupe mineurs à l’Office central de la répression contre les violences aux personnes : “Ce sont des familles très pauvres, qui gagnent en une heure de session de livestreaming l’équivalent du salaire moyen mensuel”.
Cette pratique est particulièrement préoccupante pour deux raisons : d’abord, parce qu’elle est très facilement accessible, et ensuite parce qu‘aux yeux des pédocriminels, la responsabilité de leurs actes est moins grande que s’ils se rendaient eux-mêmes coupables d’un viol. Sophie Gschwind, magistrate au parquet des mineurs de Paris, liste ainsi les caractéristiques de leur profil psychiatrique : « un ancrage assez important dans la pédopornographie, une absence de culpabilité ou d’empathie pour les victimes et surtout, une banalisation de ces faits, avec cette idée qu’à partir du moment où l’on est derrière l’écran, on ne participe pas à ce qui est commis ».
Pour Ludivine Piron, juriste missionnée à l’ECPAT – une ONG qui milite contre l’exploitation sexuelle des enfants et collabore avec les enquêteurs de l’OCRVP – le fait d’avoir franchi un nouveau degré dans la pédocriminalité en ligne s’explique par un besoin toujours plus fort d’immersivité :
Il y a tellement d’images disponibles et faciles d’accès que la communauté des pédophiles éprouve le besoin d’aller plus loin que le rôle de spectateur pour assouvir ses pulsions. Le live streaming leur permet de participer à leur propre scénario. Cela peut aller jusqu’à exiger les extraits d’acte de naissance pour prouver que l’abus est bien exécuté par une mère sur son enfant…
Une loi qui se durcit face à une traque difficile
Face à cette pédocriminalité 2.0, la justice doit s’adapter. Si ces actes tombaient seulement sous le coup de la qualification “détention d’images pédopornographiques”, les juges peuvent condamner ces personnes pour “complicité d’agressions sexuelles ou de viols” depuis 2020. Ainsi, est passible de 10 ans de prison et de 150 000 euros d’amende « le fait de faire à une personne des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques afin qu’elle commette un viol, y compris hors du territoire national » et ce, même si le viol n’est pas perpetré. Si le viol est tenté ou commis, le donneur d’ordres à l’étranger est « passible de poursuites comme complicité du crime de viol (ou de tentative de viol), sans exigence d’une condamnation à l’étranger de l’auteur principal du viol ou de la tentative ». Stéphane Lamberth, un ancien pilote de ligne, avait été le premier français à être jugé selon cette qualification en janvier 2020, et avait été condamné à 5 ans de prison. La peine encourue s’élève à 20 ans de réclusion criminelle lorsque ces faits concernent des mineurs de moins de 15 ans.
Si l’arsenal législatif pour punir ces viols sur commande a été renforcé, le problème reste la notion de “complicité”, qui minore le rôle des prédateurs sexuels. Pour les associations, la logique devrait être la même que dans le cas d’assassinats orchestrés à distance, et où l’instigateur est souvent plus sévèrement puni que celui qui commet le crime.
Par ailleurs, faire condamner des pédocriminels pour ces actes reste un chemin semé d’embûches : les faits se déroulant en direct, les enquêteurs n’ont accès à aucun enregistrement vidéo prouvant les actes commis. D’autres problématiques viennent s’ajouter à cela, comme le fait que ces viols soient commandés via les réseaux du darknet avec des échanges difficilement traçables, un système rendu d’autant plus complexe par le soutien que s’apportent mutuellement les pédocriminels, selon la juriste Ludivine Piron :
On a affaire à une communauté qui s’entraide beaucoup. Elle partage sur le darknet ou sur des messageries cryptées informations et conseils : où poster une annonce, quel code utiliser…
Enfin, les pays dont sont originaires les pédocriminels se heurtent souvent à une faible collaboration des autorités locales et peinent à faire avancer les dossiers – notamment sur la question de l’identification des enfants victimes – étant contraints au respect des règles de souveraineté nationale.
Face à cette inertie, et devant l’explosion des viols par livrestreaming, une table-ronde dédiée a été organisée début septembre 2021, lors du séminaire annuel des attachés de sécurité intérieurs (ASI) : l’enjeu était de sensibiliser à ce phénomène les forces de l’ordre des ambassades françaises, afin de développer la coopération internationale pour débusquer les pédocriminels qui agissent hors des frontières de l’hexagone. En France, le problème pointé est aussi celui du manque d’enquêteurs spécialisés sur ces dossiers : 17 contre 320 au Royaume-Uni et 150 aux Pays-Bas.