Tunisie : libérer l’ex-ministre de la Justice, détenu arbitrairement

Les autorités tunisiennes devraient immédiatement libérer l’ancien ministre de la Justice, Noureddine Bhiri, actuellement en détention arbitraire, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Un nouveau coup porté aux droits dans le cadre de la saisie de pouvoirs extraordinaires par le Président Saïed

Des policiers en civil ont arrêté  Nourredine Bhiri le 31 décembre 2021 devant son domicile à Tunis et l’ont fait monter de force dans leur véhicule, sans présenter de mandat d’arrêt. Sa famille n’a pas su où il se trouvait jusqu’à ce qu’il soit emmené dans un hôpital de Bizerte le 2 janvier 2022, où il est toujours, placé sous surveillance policière. Fathi Beldi, un ancien employé du ministère de l’Intérieur, a été arrêté le même jour dans des circonstances similaires. Le lieu où il se trouve actuellement n’a pas été révélé.

« Les détentions de Noureddine Bhiri et de Fathi Beldi, qui s’apparentent à des enlèvements, témoignent de la menace croissante qui pèse sur la protection des droits humains depuis la saisie de pouvoirs additionnels par le président Saïed en juillet dernier », a déclaré Eric Goldstein, Directeur exécutif par intérim de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les autorités devraient libérer Bhiri et Beldi maintenant ou, si elles ont la preuve d’un crime réel, les inculper conformément à la loi. C’est aussi simple que cela ».

Les autorités n’ont divulgué aucune charge formelle contre Bhiri. Cependant, le jour où il a été arrêté, le ministère de l’Intérieur a publié une déclaration faisant référence à deux personnes qui n’ont pas été nommées, détenues dans le cadre d’un décret d’urgence de 1978, et qui sont vraisemblablement Bhiri et Beldi. Les autorités judiciaires, qui supervisent normalement les poursuites, n’ont fait aucun commentaire sur ces deux affaires.

Le président Saïed a suspendu le parlement le 25 juillet, a levé l’immunité de ses membres et a limogé le Premier ministre, déclarant qu’il était nécessaire d’agir de manière décisive pour renforcer l’économie du pays, qui fait face à des difficultés, ainsi que la réponse à l’épidémie de Covid-19.

Bhiri, 63 ans, est membre du barreau tunisien et a été ministre de la Justice de 2011 à 2013. Il est aussi vice-président d’Ennahdha, le parti le plus important du parlement, et chef de son groupe parlementaire. Ennahdha a dénoncé la consolidation du pouvoir du président Saïed comme un « coup d’État » et a exigé qu’il rouvre le Parlement.

Bhiri est la première personnalité de haut rang d’Ennahdha à être placée en détention depuis que Zine el-Abidine Ben Ali, qui a été évincé de la présidence en 2011, a emprisonné des dizaines de hauts dirigeants et des milliers de membres du parti dans le cadre d’une campagne tous azimuts visant à éradiquer le mouvement.

Au moment de son arrestation par la police, Bhiri était avec sa femme, Saida Akremi, une avocate. Les policiers ont confisqué le téléphone d’Akremi alors qu’elle cherchait à l’utiliser. Le ministère de l’Intérieur a déclaré dans la soirée que les deux détenus l’étaient au titre d’une « mesure préventive dictée par la nécessité de protéger la sécurité nationale », comme le permet l’article 5 du décret [d’urgence] 78-50 du 26 janvier 1978.

Le même soir, la police a escorté le responsable du barreau tunisien, Brahim Bouderbala, pour rendre visite à Bhiri. Bouderbala a déclaré ne pas avoir pu déterminer l’endroit où cette visite a eu lieu. Le 1er janvier, les autorités ont contacté Akremi pour lui demander d’apporter les médicaments de son mari, sans lui permettre de le voir, a déclaré à Human Rights Watch Abderrezak Kilani, un avocat qui représente Bhiri.

Le soir du 2 janvier, la famille et les avocats de Bhiri ont appris qu’il était détenu à l’hôpital Habib Bougatfa, dans la ville de Bizerte, après avoir refusé toute nourriture et tout médicament. Sa famille a exprimé son inquiétude quant à son état de santé. Sa femme lui a rendu visite le 5 janvier pour la première fois, mais la police présente à l’hôpital et chargée de surveiller sa chambre a refusé l’accès à ses avocats, a encore indiqué Kilani.

Le 3 janvier, le ministre de l’Intérieur Taoufik Charfeddine a donné une conférence de presse au cours de laquelle il a apparemment fait référence à Bhiri et Beldi sans les nommer. Charfeddine, qui a été nommé par le président Saïed le 11 octobre, a déclaré, sans fournir de détails, que « l’affaire » concernait la délivrance illégale, en 2013, de passeports et de documents de voyage, lorsque Bhiri était ministre de la Justice.

Si Charfeddine a déclaré que cette affaire portait sur des « suspicions de terrorisme », il n’a pas expliqué pourquoi la protection de la sécurité nationale exigeait de placer des personnes en détention préventive, sans inculpation, en contournant la procédure judiciaire normale, pour des actes qui auraient été commis il y a neuf ans. Le lendemain, le pouvoir judiciaire a indiqué qu’il enquêtait sur ces allégations depuis le 24 décembre.

Des hommes en civil ont intercepté Beldi, 55 ans, près de son domicile à Tunis le 31 décembre et l’ont forcé à monter dans une voiture banalisée, a déclaré l’un de ses avocats, Latifa al-Habachi, à Human Rights Watch. Le lendemain, la police a téléphoné à Hichem, le frère de Beldi, pour lui dire de déposer certaines des affaires de Beldi à un poste de la Garde nationale à Borj al-Amri, dans la province d’al-Manouba, à l’ouest de Tunis, sans révéler le lieu où Beldi était détenu.

Le 5 janvier, la famille de Beldi, accompagnée d’avocats, s’est rendue au même poste de la Garde nationale pour demander à le voir, car elle était sans nouvelles de lui depuis sa détention. Selon al-Habachi, les forces de sécurité ont déclaré que seule la famille, mais pas les avocats, pouvait le voir. Les forces de sécurité ont ordonné à la famille de ne pas lui demander où il était détenu, puis ont amené Beldi pour qu’il rencontre sa famille en présence des forces de sécurité.

Mme Al-Habachi a déclaré qu’elle s’était renseignée au palais de justice et qu’elle n’avait trouvé aucune trace d’une quelconque procédure en cours contre Beldi, qui n’a apparemment pas encore vu d’avocat. Sa famille n’a reçu aucun document relatif à sa détention et ne sait toujours pas où il se trouve, a-t-elle ajouté.

Les autorités tunisiennes ont pris diverses mesures répressives à l’encontre de plusieurs opposants, critiques et personnalités politiques depuis que le président Saïed s’est emparé de pouvoirs extraordinaires le 25 juillet, notamment des assignations à résidence, des interdictions de voyager et des poursuites pour avoir critiqué pacifiquement le pouvoir. Bhiri est la première personnalité de son envergure à Ennahdha à être détenue, bien qu’un autre ministre membre du comité exécutif du parti, Anouar Maarouf, ait passé environ trois mois en résidence surveillée en 2021.

« Les autorités ont contourné le système judiciaire pour détenir une figure importante du parti, particulièrement critique à l’égard du coup de force du président », a conclu Eric Goldstein. « Cela ne peut que contribuer à intimider davantage ceux qui osent s’opposer à la prise de pouvoir du président ».

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