Guerre en Ukraine : L’armée française est-elle prête à un conflit de haute intensité ?

L’hypothèse d’une guerre sur le sol français ou même européen est très peu probable, mais la situation en Ukraine pousse à la réflexion sur nos propres forces armées. Vladimir Poutine a fait entrer les chars et les bombes chez son voisin, causant de lourdes pertes à Kiev. Un voisin aux portes de l’Union européenne, qui partage des frontières avec la Pologne, la Roumanie, la Hongrie, la Slovaquie… Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a par ailleurs invité ce vendredi les Européens qui savent se battre à se rendre en Ukraine pour repousser l’invasion de l’armée russe.

Plusieurs conflits « gelés » pourraient également éclater à tout moment, comme les tensions entre la Grèce et la Turquie, alertait à 20 Minutes le député Jean-Louis Thiérot, auteur d’un rapport d’information sur les « nouveaux conflits » remis à l’Assemblée nationale mi-février. Il estime que la France « peut-être amenée à s’engager dans ces conflits, pour protéger ses propres intérêts ».

L’habitude de la contre-insurrection
Alors si la guerre s’intensifiait jusqu’à déclencher l’intervention française, le pays serait-il prêt à faire face à une armée telle que celle de Poutine ? Une guerre de haute intensité, comme ce qu’il se passe actuellement en Ukraine, implique des armements importants et « des opérations létales et destructrices », explique à 20 Minutes Frédéric Coste, maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

L’armée française a de l’expérience, présente sur de nombreux terrains à l’extérieur, mais, depuis son intervention en Afghanistan, elle « fait essentiellement de la contre insurrection » se battant principalement contre des groupes terroristes, comme au Sahel. « Dans ces situations vous avez la maîtrise aérienne totale, ce qui ne serait pas le cas contre la Russie dont on a appris le fonctionnement » à travers ses interventions récentes, notamment en Syrie, développe Frédéric Coste.

Mais l’armée française se prépare : « Depuis une dizaine d’années, les documents institutionnels mettent en avant le scénario d’un conflit de haute intensité. Les armées travaillent depuis quatre, cinq ans sur cette hypothèse, par exemple au travers d’exercices », poursuit-il.

Une armée solide
« Le rôle d’une armée c’est de pouvoir agir en tout temps et contre toute circonstance, ajoute Olivier Kempf, directeur du cabinet statistique la Vigie et chercheur associé à la FRS, contacté par 20 Minutes. Notre armée est incontestablement prête à gérer des alertes. On a l’armée la plus solide des armées européennes. » Tout dépend alors de l’adversaire. Ainsi, dans l’hypothèse où on entrerait en guerre contre la Russie, selon ce spécialiste, l’armée de terre seule ne pourrait aligner des effectifs comparables : les hommes et femmes de la force opérationnelle terrestre s’élèvent à 77.000 militaires, selon le ministère de la Défense. Rien qu’à la frontière ukrainienne, la Russie a déployé quelque 100.000 soldats, « sans même engager la totalité de ses troupes ».

L’armée tricolore est, de plus, engagée sur de nombreux terrains à l’extérieur qu’elle ne peut pas abandonner du jour au lendemain. « Au temps de la Guerre froide, on avait beaucoup plus de moyens, de régiments, de chars, d’avions, et on disait que ce n’était pas suffisant. On dépensait 3 % du PIB au budget de la Défense », abonde le directeur de la Vigie. En 2020, la France a consacré plus de 2 % de sa richesse nationale au profit de ses armées. « On peut alors s’attendre que sur les prochaines années, l’effort de remise à niveau se poursuive avec une augmentation des efforts de défense », avance Olivier Kempf. « Il y a un risque d’une montée aux extrêmes entre les acteurs dotés de l’arme nucléaire », prévient par ailleurs Frédéric Coste.

Un manque d’expérience sur la guerre hybride
En plus des combats, la guerre se passe désormais également sur d’autres terrains. On l’appelle la guerre hybride. Elle se définit par « l’utilisation combinée de différents types de moyens d’action comme la propagande, les cyberattaques, la déstabilisation interne » en plus des opérations militaires classiques, développe Frédéric Coste, mais aussi l’aéromagnétique, le spatial, l’économie, l’énergie… Tout ce qui peut déstabiliser un pays ennemi. Si l’Etat français a pris conscience de la nécessité de se former à ces questions depuis une quinzaine d’années, selon Olivier Kempf, des efforts restent à faire. « La France fait partie de la première division, mais ce n’est pas non plus le PSG », illustre-t-il.

En effet, en termes d’opérations de contre-narration, de déstabilisation de la société, la France « sait le faire mais il y a la question de l’expérience et une question d’éthique. On va plutôt être dans le défensif que d’essayer d’en produire nous-mêmes offensivement, explique Frédéric Coste. Mais on se prépare à l’hybridité. » L’autre problème, c’est le contexte interne de la France. L’expert souligne ainsi qu’avec la longue crise sociale des « gilets jaunes », puis la pandémie, « la confiance des Français envers la parole publique a été érodée ». Il y a donc un terreau potentiellement favorable à des attaques de propagande interne et « on sait que les Russes sont très bons dans l’atteinte à la réputation de l’adversaire, ils le font depuis très longtemps ».

Prise de conscience générale
En ce qui concerne le cyber, « le problème n’est pas de savoir si les cibles militaires sont perméables à ces attaques, explique le spécialiste. Le problème est de savoir si les autres cibles sont protégées, comme les opérateurs d’installations vitales, les centrales nucléaires, le réseau d’électricité, les hôpitaux… On sait que les Chinois et les Russes ont des stratégies dans ces domaines, ils ont l’expérience, ils savent le faire. » Tandis qu’en France, « on a les dispositifs, mais on n’a jamais eu à les mettre en œuvre à une telle échelle, on n’en a jamais eu besoin, c’est un saut dans l’inconnu ».

Dans le domaine spatial, une prise de conscience générale s’est faite depuis quelques années. En France, on assiste à une « arsenalisation de l’espace », ajoute Olivier Kempf. L’armée de l’air est d’ailleurs devenue l’armée de l’air et de l’espace en juillet 2019. Enfin, il y a aussi la guerre dite sémantique, comme on a pu la voir ces quinze derniers jours entre les Etats-Unis et la Russie. « Vladimir Poutine contrôle l’information dans son pays et tient des discours lunaires sur un génocide ou une dénazification de l’Ukraine destinés à son opinion publique interne. Dans la guerre d’information, le principal objectif est de convaincre l’adversaire et de convaincre les opinions publiques, analyse Olivier Kempf. Les leaders tiennent un double langage à deux publics différents ».

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