Quels faits survenus depuis le début de l’invasion russe en Ukraine peuvent être qualifiés de crimes de guerre ? « L’Obs » fait le point avec Jeanne Sulzer, avocate au barreau de Paris et responsable de la commission justice internationale d’Amnesty International France.
Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, plusieurs observateurs ont évoqué des crimes de guerres qui auraient été commis par l’armée russe. Mais qu’est-ce qu’un crime de guerre ? Quels sont les bombardements ou les faits de guerre considérés comme « légaux » ? Lesquels sont considérés comme des crimes ?
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« L’Obs » fait le point avec l’avocate au barreau de Paris et responsable de la commission justice internationale d’Amnesty International France, Jeanne Sulzer.
Qu’est-ce qu’un crime de guerre ?
C’est un crime défini par les conventions de Genève commis dans un contexte de conflit armé. Cette codification, qui date de 1949, a été depuis revue par la Cour pénale internationale. Parmi les crimes de guerre, il y a le meurtre, l’atteinte à l’intégrité physique, les viols, et toute autre attaque ayant intentionnellement pour cible une population civile. Les pillages et destructions de biens indispensables à la survie de la population civile sont également des crimes de guerre. Plus généralement, tous les crimes commis à l’encontre de personnes protégées – qui ne participent pas aux hostilités ou sont mises hors de combat – sont des crimes de guerre.
Quels faits survenus en Ukraine relèvent de crimes de guerre ?
Les atteintes aux civils, nombreuses, comme les bombardements d’habitations et plus récemment le bombardement de la maternité de Marioupol. Ces lieux pilonnés de façon intentionnelle rentrent totalement dans le cadre des crimes de guerre. Plus globalement, toute attaque qui a comme conséquence de viser des populations protégées et dont les destructions ne se justifient pas par une nécessité militaire.
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En Ukraine, la Russie est également soupçonnée d’utiliser des armes prohibées – comme les « bombes à sous-munitions », pourtant interdites jusque dans le commerce.
Des procédures sont-elles déjà lancées ?
La Cour pénale internationale, qui est aujourd’hui compétente pour les crimes commis sur le territoire ukrainien quelle que soit la nationalité des auteurs, a ouvert une enquête pour recueillir et préserver les preuves permettant d’établir la réalité et les responsables des faits. De fait, elle peut, comme elle l’a fait jeudi avec l’enquête sur la Géorgie, émettre des mandats d’arrêt. Ces mandats d’arrêt, s’ils sont exécutés, doivent permettre de juger les responsables de ces crimes devant le tribunal de La Haye, avec des peines qui peuvent aller jusqu’à la perpétuité, même pour les chefs d’état qui peuvent être protégés par une immunité.
D’autre part, plusieurs enquêtes ont été ouvertes devant des tribunaux nationaux en Allemagne, en Espagne, en Pologne. Peut-être en ouvrira-t-on une en France prochainement. Le parquet fédéral allemand a par exemple annoncé qu’il ouvrait une enquête structurelle, afin d’établir les faits et les personnes à poursuivre, ce qui pourrait permettre d’arrêter et de juger les personnes responsables de passage sur le sol allemand.
Une condamnation pour crimes de guerre peut-elle avoir des répercussions sur le conflit ?
La Cour pénale internationale a aussi un mandat de prévention. Chacun est libre d’estimer si ce rôle a un impact ou pas. Pour ma part, je pense qu’il n’en a pas. Force est de constater que les crimes de guerre continuent d’être commis depuis la création de la CPI en 2002.
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Cependant, cela montre que la justice est au cœur des débats. Nous avons derrière nous trente ans de jurisprudence, avec des chefs d’Etat qui ont été jugés et parfois condamnés comme l’a été l’ancien président serbe, Slobodan Milošević, même s’il est mort juste avant la décision de justice.
Il est intéressant et préoccupant de voir que l’on parle déjà de justice alors que les crimes sont en train d’être commis. La justice ne peut pas intervenir en temps réel, elle ne peut pas être utilisée comme une arme de dissuasion lors d’un conflit. Elle doit rester neutre et évaluer la responsabilité de l’ensemble des parties.
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