Jean-Luc Mélenchon, dont le report des voix sera décisif au second tour, a recueilli 29 % du suffrage des 18-25 ans, ce qui fait du candidat de La France insoumise le préféré des plus jeunes. France 24 est allé à la rencontre d’étudiants de l’université Paris 8 à Saint-Denis qui ont voté pour lui. Pour ces derniers, voter Emmanuel Macron semble exclu.
« Macron ou Le Pen, dans tous les cas on est foutu. Pour mes premières élections, j’avais espéré mieux. » La main dans la poche, appuyé contre une borne Vélib devant la faculté de Paris 8 – Saint-Denis, Esteban, 18 ans, accuse le coup. Le 10 avril, il a voté Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle française. « C’était le vote le plus proche de mes convictions. Je ne vais pas vous mentir, ça me fait perdre espoir en un monde meilleur, ou au moins à plus de progrès social. »
L’étudiant en licence de cinéma attend un professeur qui a donné rendez-vous à ses élèves malgré la grève. À quelques mètres de là, l’entrée de l’université est bloquée par des poubelles reliées les unes aux autres. Il est 14 h, et les grévistes ont abandonné le piquet du matin. De toute façon, la fac a préféré fermer ses portes pour la journée. Quelques affichettes et des tracts abandonnés dans les poubelles rappellent les revendications : « La présidence [de l’université] refuse d’inscrire les étudiant.es fuyant la guerre en Ukraine. Il y a encore 23 étudiant.es sans papiers dont la fac refuse de soutenir le dossier ! »
« J’hésite entre voter blanc ou Le Pen au second tour »
Aux côtés d’Esteban, Bruno* veut parler. L’étudiant parisien rebondit sur les propos de son ami et termine ses phrases. Il a 18 ans lui aussi et sa famille est très politisée. « Mon grand-père était un résistant communiste, mon père a baigné dans cette culture », se plait-il à souligner. Tous ont voté Jean-Luc Mélenchon cette fois-ci, comme lui. « Macron, je ne veux surtout pas le revoir au pouvoir, donc j’hésite entre voter blanc ou Le Pen au second tour. Marine Le Pen est mieux que Macron sur le social. Et Macron, après tout, il a mis au pouvoir des ministres qui ont mené des politiques d’extrême droite », lance-t-il, précisant qu’il accuse là Gerald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, d’appliquer une politique ultra-répressive.
Esteban acquiesce. Il dit qu’il en veut au président sortant de ne pas avoir respecté ses promesses en matière d’écologie. « Il y a encore un rapport [du Giec] qui a dit récemment qu’on avait trois ans pour agir contre le réchauffement climatique. » Les deux amis affirment ne se reconnaître dans aucun candidat du second tour sur les questions environnementales.
« En revanche, le protectionnisme que propose Marine Le Pen, je trouve ça plus intéressant que l’ultralibéralisme de Macron », ajoute Bruno. Une présidente Rassemblement national à la tête du pays ne lui fait pas peur. « La politique d’immigration zéro, ça ne marche pas, c’est inapplicable. On le voit bien, même Macron n’arrive pas à appliquer les expulsions du territoire. Ça fera comme pour Donald Trump, vous saviez qu’il avait expulsé moins de migrants que Barack Obama ? »
Éplucher le programme de Marine Le Pen dans le détail
« Je n’aime pas Macron et ses services en douce aux copains, comme avec ses amis de McKinsey [cabinet de conseil auquel le gouvernement a fait appel, NDLR] », répète Esteban, ajoutant une ligne à sa longue liste de doléances.
Une enquête préliminaire pour blanchiment aggravé de fraude fiscale visant McKinsey a été ouverte par le Parquet national financier le 31 mars. Mais aucun des deux étudiants ne doutent. « Il ne fait rien au hasard, c’est quelqu’un qui cherche à faire du profit sur tout », assène Esteban.
S’il est sûr de ne pas voter Macron, au fil de la conversation, il se met à douter de son vote pour le Rassemblement national. « Faut que je récupère le programme de Marine Le Pen quand même pour savoir ce que je vais glisser dans l’urne. »
Son choix politique, le jeune homme dit en parler aisément avec sa mère, qui cumule les petits jobs dans le sud de la France. « Ma mère est comédienne. Elle a la cinquantaine passée mais elle est serveuse, aide à domicile. Elle sert les repas le midi dans les cantines scolaires pour gagner un salaire parce qu’elle a eu des problèmes avec Pôle emploi pour faire reconnaître son statut d’intermittente du spectacle », dit-il d’un air préoccupé. « Elle a voté Mélenchon et votera blanc au deuxième tour. »
Se rendre aux urnes pour voter blanc
Tous ne partagent pas l’avis de leurs parents. Un peu plus loin, Lilou attend, elle aussi, son professeur de cinéma. Elle a 19 ans et elle a choisi le leader de La France insoumise au premier tour, d’abord pour ses propositions sur l’écologie. « Dans ma famille, le vote a toujours été tenu secret. Mais je pense que mes parents ont voté Macron », glisse-t-elle, avant d’en douter. « Qui est le candidat qui propose une hausse du minimum retraite ? », demande-t-elle. Un sujet central dans sa famille, chez qui tout repose sur la retraite de son père. « Ma mère a arrêté de travailler à 25 ans pour nous élever ma sœur, mon frère et moi », explique-t-elle.
Pour la jeune étudiante, l’argent est source de préoccupation. « Macron veut faire payer les universités, augmenter les frais d’inscription. Ça ne va pas être possible », lance-t-elle.
Pourtant cette proposition ne figure pas clairement dans le programme du candidat. Mais elle lui a été imputée depuis des propos tenus à la mi-janvier. Emmanuel Macron avait alors avancé devant les présidents d’universités réunis en congrès qu' »on ne pourra pas rester durablement dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants », laissant entendre qu’il était ouvert à une augmentation des frais de scolarité. Après avoir déclenché de vives réactions auprès des syndicats étudiants, le président était revenu sur sa déclaration ambigüe. « Quand on veut se battre contre la précarité étudiante, on n’augmente pas les droits d’inscription », avait-il précisé.
Une chose est sûre, affirme Lilou, c’est qu’elle est certaine de ne pas voter pour lui. « J’irai quand même aux urnes, c’est important. Mais vu qu’aucun des deux candidats ne me plaît je préfère ne pas être actrice de ce vote. Je voterai blanc. »
« Je m’accroche aux législatives »
Devant les portes closes de l’université, d’autres étudiants arrivent. Ils vont assister à un exposé de sciences politiques sur les préventions des inégalités. Le cours aura lieu en plein air, dans un square de Saint-Denis.
Avant de rejoindre la troupe, l’une des étudiantes fait part de sa déception. Elle affirme avoir voté pour Jean-Luc Mélenchon et se refuse à glisser un bulletin pour Emmanuel Macron le 24 avril : « Ce serait le légitimer, alors qu’il n’a pas su faire barrage à la montée de l’extrême droite. Au contraire. Je lui en veux pour sa politique de plus en plus répressive, les violences policières qu’il n’a pas su empêcher, son discours méprisant envers les plus démunis ».
La jeune femme de 21 ans préfère passer son tour. Inquiète, elle dit attendre impatiemment le dimanche 12 juin, date à laquelle les Français sont appelés à élire leurs députés. « Je m’accroche aux législatives pour obtenir une majorité à gauche. Je ne serai pas soulagée avant d’être certaine qu’on puisse contrer le pouvoir du futur ou de la future présidente », lâche-t-elle avant de rejoindre son groupe de camarades.
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