Il faut que quelqu’un défie cet homme, dit Aminata Touré en parlant du président Macky Sall dont elle fut la Première ministre pendant moins d’un an entre 2013 et 2014 et qui, affirme-t-elle, l’a trahie.
Rarement une femme aura autant fait parler d’elle en politique au Sénégal: Aminata Touré sème le trouble dans les allées du pouvoir en s’attaquant de front au président qu’elle a servi et, à travers lui, aux « attitudes patriarcales », assure-t-elle.
Elle a déjà ruiné l’infime majorité parlementaire sur laquelle le président Macky Sall comptait jusqu’à la présidentielle de 2024, vers laquelle tous les esprits sont tournés. Elle entend continuer à secouer l’appareil et caresse le projet de concourir à la présidentielle, s’il le faut contre ce même Macky Sall qui entretient une totale incertitude sur ses intentions. « Ce dont il est question ici, c’est d’une femme qui défie un grand de ce monde », dit-elle à l’AFP dans sa villa du bord d’océan à Dakar.
« Il faut que quelqu’un défie cet homme », ajoute Aminata Touré en parlant du président dont elle fut la Première ministre pendant moins d’un an entre 2013 et 2014 et qui, affirme-t-elle, l’a trahie.
Aminata Touré, 60 ans, dit s’être montrée loyale pendant plus de dix ans, du moment où elle a quitté les Nations unies pour rejoindre l’équipe de celui qui n’était pas encore président, jusqu’à ce 12 septembre 2022 où, à la dernière minute, Macky Sall lui en a préféré un autre pour le poste de président de l’Assemblée, deuxième personnage de l’Etat.
Macky Sall lui avait promis le poste si elle acceptait de mener la campagne des élections de juillet pour la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar, dit-elle. Il l’a lâchée parce qu’il savait qu’elle s’opposerait à ce qu’il effectue un troisième mandat, dit-elle.
Le sujet est appelé à dominer le débat des prochains mois. Macky Sall, élu en 2012, réélu en 2019, reste flou sur ses desseins. La Constitution limite à deux le nombre de mandats. Une candidature risquerait de provoquer de vives tensions, comme le fit celle du président sortant Abdoulaye Wade en 2012, dans un pays réputé comme un îlot de stabilité en Afrique de l’Ouest, mais pas étranger à la violence politique.
Couteaux tirés
La guerre est à présent déclarée entre Aminata Touré et le camp présidentiel.
Elle invoque les principes qui l’ont guidée depuis ses premiers engagements de jeunesse, y compris dans une organisation trotskiste.
Ses détracteurs la décrient comme faisant partie intégrante d’un système dont elle n’accepterait pas les règles alors qu’elle n’a jamais remporté un mandat significatif. Les législatives avec Aminata Touré comme tête de liste ont laissé la majorité présidentielle amoindrie. La lutte contre l’injustice et pour les droits des femmes a toujours fait partie des combats de cette fille de médecin et de sage-femme.
Celle qu’on décrivait enfant comme un garçon manqué a commencé par travailler pour une organisation de planning familial. Elle a rejoint au milieu des années 1990 le Fonds des Nations unies pour la population.
« Elle faisait toujours preuve d’audace et de courage quand il s’agissait de défendre ce en quoi elle croyait », se souvient Leyla Sharafi, qui a travaillé pour elle à l’UNFPA. Après ses études en France et ses années professionnelles aux Etats-Unis, elle est rentrée pour rallier Macky Sall. Ministre de la Justice entre 2012 et 2013, elle est à l’origine d’une loi permettant aux Sénégalaises mariées à des étrangers de transmettre leur nationalité à leurs enfants, comme cela était possible pour les hommes.
Comme une soeur
Le Sénégal passe pour un bon élève de la parité en politique; 44% des sièges de la nouvelle Assemblée sont occupés par des femmes, un record en Afrique de l’Ouest. Mais attitudes et lois patriarcales restent profondément enracinées.
Aminata Touré croit qu’un homme n’aurait pas été traité comme elle. « On n’offre pas aux femmes les mêmes opportunités d’occuper les positions de pouvoir », écrivait-elle dans une tribune dans le Guardian. « Les attitudes patriarcales persistent ». Elle a quitté avec fracas le groupe présidentiel au Parlement, faisant perdre au président la majorité absolue à une voix près. Acccusant le chef de l’Etat d’avoir choisi un proche pour présider l’Assemblée, elle a présenté un texte contre le népotisme. Le groupe présidentiel menace de la faire démettre de son mandat.
Benno Bokk Yakaar continue à considérer Aminata Touré « comme une soeur », dit un porte-parole, Pape Mahawa Diouf, mais « nous défendrons notre majorité jusqu’au bout ».
« Nous avons raté le siège de président de l’Assemblée, donc il faut viser plus haut. Président, c’est le prochain challenge », dit-elle tout en maintenant une part d’ambigüité sur cette candidature.
Les Sénégalais sont-ils prêts à élire une femme présidente ? « Nous verrons bien, nous allons poser la question au peuple sénégalais ».
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