Emmanuel Macron a assuré dimanche lors d’une interview télévisée que « l’Europe est le continent qui fait le plus » sur les questions migratoires. Mais cette affirmation est fausse, aussi bien en ce qui concerne les sans papiers en situation irrégulière que les réfugiés statutaires. Par ailleurs, contrairement à l’affirmation du chef de l’État, la France fait figure de mauvais élève dans l’accueil des exilés au sein de l’Union européenne.
Lors de la clôture des « Rencontres méditerranéennes » à Marseille, samedi 23 septembre, le pape François a une nouvelle fois exhorté l’Europe à accueillir les migrants « qui risquent leur vie en mer ». Quelques jours après l’afflux d’exilés sur l’île italienne de Lampedusa qui a mis les États européens sous pression, le souverain pontife a demandé que les migrants ne soient « pas considérés comme un fardeau à porter ». « Le phénomène migratoire n’est pas tant une urgence momentanée, toujours bonne à susciter une propagande alarmiste, mais un fait de notre temps », a-t-il affirmé, assurant que ce processus doit être géré « avec une responsabilité européenne capable de faire face aux difficultés objectives ».
Le lendemain, Emmanuel Macron lui a répondu lors d’une interview sur TF1 et France 2. Aux journalistes qui l’interrogent sur les propos de François, le président a déclaré : « Le pape a raison d’appeler à ce sursaut contre l’indifférence. Mais l’Europe est le continent qui fait le plus » dans l’accueil des migrants. Dans le même temps, le chef de l’État a repris les propos de l’ancien Premier ministre socialiste Michel Rocard, estimant que la France « ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».
Immigration: "Le pape a raison d'appeler à ce sursaut contre l'indifférence, mais l'Europe est le continent qui fait le plus […], et on ne peut pas accueillir toute la misère du monde", affirme Emmanuel Macron pic.twitter.com/uHhRC1RzTw
— BFMTV (@BFMTV) September 24, 2023
Alors, l’Europe est-elle vraiment le continent qui se montre le plus accueillant ? Pour Matthieu Tardis, co-directeur du centre de recherches Synergies migrations, cette affirmation est à nuancer. « De qui le président parle-t-il ? Les migrants internationaux sont des [étrangers présents sur le sol de l’UE] avec des situations extrêmement diverses. Il y a des travailleurs étrangers, des réfugiés, des migrants en situation irrégulière… Emmanuel Macron simplifie le sujet », estime le chercheur, contacté par InfoMigrants.
Macron parle-t-il des étrangers présents dans l’Union européenne ?
Si le chef de l’État évoque tous les étrangers présents sur le sol européen, alors ses propos sont plutôt vrais. L’Europe est bien le continent qui accueille le plus de personnes, avec 87 millions d’étrangers nés hors de l’Union européenne (en situation régulière ou non), selon les chiffres des Nations unies, devant l’Asie qui en compte 86 millions. Mais pour l’ONU, l’Europe continental comprend la Russie, qui héberge à elle seule… 12 millions de « migrants internationaux » (travailleurs, étudiants, sans-papiers…).
Dans sa phrase, le président inclut-il la Russie lorsqu’il parle d’Europe ? Rien n’est moins sûr. Si la Russie n’est pas inclus, alors « non, l’Europe n’est pas le continent qui accueille le plus ».
Parle-t-il spécifiquement des réfugiés ?
Emmanuel Macron pense-t-il plutôt aux réfugiés, c’est-à-dire aux personnes ayant obtenu une protection internationale au sein de l’Union européenne (UE) ? « S’il parle des réfugiés, alors c’est complètement faux », tranche Matthieu Tardis.
Le pays qui héberge le plus de réfugiés sur son sol est la Turquie avec 3,6 millions de personnes, en 2022, dont une grande majorité de Syriens, indique le Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR). Vient ensuite l’Iran avec 3,4 millions – principalement des Afghans. Suivi de la Colombie, avec 2,5 millions de Vénézuéliens. Le premier pays de l’UE dans ce classement n’arrive qu’en 4e position : il s’agit de l’Allemagne avec 2,1 millions de réfugiés. Enfin, on retrouve le Pakistan avec 1,7 millions de personnes.
Accueil des pays limitrophes
Il convient également de noter que près de 80% des réfugiés dans le monde ont trouvé l’asile dans des pays à « revenus faibles ou moyens », selon les termes des Nations unies.
De plus, « les dynamiques migratoires sont avant tout régionales, y compris en Afrique », rappelle Matthieu Tardis. « L’immigration en Europe venue d’Afrique subsaharienne est très faible, c’est une goutte d’eau. Les pays limitrophes sont ceux qui accueillent le plus », insiste-t-il.
D’après les prévisions du HCR, il y aura 44 millions de personnes déplacées en Afrique subsaharienne en 2023 – contre 38,3 millions à la fin de 2021. Le continent africain accueille les trois quart des nouveaux déplacements internes.
La France, mauvais élève
Emmanuel Macron a également assuré que « nous, Français, nous faisons notre part ». Comme le signale le président, la France reçoit en moyenne 100 000 demandes d’asile chaque année.
En effet, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a traité un peu plus de 134 000 dossiers de demande d’asile l’an dernier. Mais si on compare avec l’Allemagne, la France fait figure de mauvais élève. En 2022, Berlin a reçu 245 000 demandes – soit près du double. L’Allemagne reste le pays européen accueillant le plus grand nombre de demandeurs d’asile, représentant 30% des dossiers au sein de l’UE, contre 16% pour la France.
Mais cette donnée est également à nuancer. Si on analyse les chiffres proportionnellement au nombre d’habitants, alors c’est la petite île de Chypre qui reçoit le plus de demandes d’asile, avec 45 dossiers pour 10 000 habitants. « La France arrive loin derrière, au huitième rang, avec presque 22 demandes pour 10 000 habitants. C’est très peu », expliquait début septembre à InfoMigrants le chercheur François Heran.
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