Un an et demi après l’implosion de sa plateforme d’échanges de cryptomonnaies FTX, l’Américain Sam Bankman-Fried a été condamné jeudi à 25 ans de prison pour avoir détourné 8 milliards de dollars issus des fonds de ses clients. Retour sur l’ascension et la chute de ce roi déchu des monnaies numériques.
Il risquait une peine de plus de 100 ans d’emprisonnement pour fraude et association de malfaiteurs. L’Américain Sam Bankman-Fried a finalement été condamné, jeudi 28 mars, à 25 ans de prison pour avoir détourné 8 milliards de dollars issus des fonds des clients de FTX, la plateforme d’échange de monnaie numérique qu’il a créée en mai 2019. Il a fait appel du jugement.
Avant sa chute spectaculaire, « SBF » faisait pourtant figure de gendre idéal des cryptos : défenseur d’une meilleure régulation du marché des monnaies virtuelles, engagé dans de nombreuses œuvres caritatives, l’ancien milliardaire était une personnalité courtisée à Washington en raison de ses généreuses donations au Parti démocrate.
En quelques mois seulement, ce diplômé de physique du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux cheveux sans cesse ébouriffés avait fait d’une petite start-up la deuxième plateforme mondiale d’échanges de cryptomonnaies.
Mais derrière cette façade de respectabilité, le jeune prodige à l’allure fantasque se livrait en réalité à des montages financier frauduleux. Sam Bankman-Fried utilisait les fonds des clients de FTX pour alimenter une filiale baptisée Alameda Research, afin d’effectuer des placements risqués.
Le « génie » des cryptomonnaies piochait dans les économies des autres pour spéculer pour son propre compte.
Début novembre 2022, le média spécialisé CoinDesk avait révélé qu’Alameda Research avait converti une bonne partie de ses actifs en FTT, la cryptomonnaie créée par FTX. La santé financière de FTX ne reposait plus sur de l’argent sonnant et trébuchant mais sur une monnaie virtuelle sujette à de fortes variations. Résultat : un mouvement de panique, qui a fait s’effondrer le cours du FTT… et l’empire de « SBF ».
La gestion chaotique de l’entreprise a longtemps fait les choux gras de la presse mondiale qui, jour après jour, découvrait l’ampleur du scandale.
Selon l’administrateur judiciaire nommé pour gérer la liquidation de l’entreprise, quelque 8,7 milliards de dollars se sont volatilisés, au grand dam d’un million de clients et d’une douzaine de grands investisseurs. Les procureurs américains ont qualifié le stratagème présumé mis au point par Sam Bankman-Fried comme « l’une des plus grandes fraudes financières de l’histoire américaine ».
Témoins à charge
Le procès qui s’est ouvert en octobre 2023 s’appuyait sur des millions de pages de preuves, mais aussi des témoignages des anciens partenaires de Sam Bankman-Fried, dont celui de son ex-petite amie, ancienne directrice générale d’Alameda Research, Caroline Ellison.
Décrit comme une bande d’adolescents attardés, vivant en communauté dans une résidence de luxe aux Bahamas d’où s’écrivait la destinée de FTX, le premier cercle de « SBF » a rapidement tourné le dos à son ancien patron pour collaborer avec la justice américaine et espérer échapper à de lourdes peines de prison.
Plusieurs témoignages accablants pour Sam Bankman-Fried ont été entendus ces dernières semaines, notamment ceux de Gary Wang, cofondateur et responsable de la technologie de FTX, de Nishad Singh, le directeur technique, et de Ryan Salame, l’ancien directeur de clientèle.
Tous ont reconnu des transferts de fonds illégaux et pointé la responsabilité de « SBF ».
Outre la montagne de preuves accumulées par l’accusation et les témoignages de ses quatre anciens lieutenants, « SBF » avait également irrité la justice avant son procès en violant les conditions de sa liberté sous caution.
Fin décembre 2022, le héros déchu des cryptos avait été libéré contre une gigantesque caution de 250 millions de dollars.
Mais sept mois plus tard, un juge fédéral lui a reproché d’avoir envoyé depuis la maison de ses parents où il était assigné à résidence des messages à d’anciens employés de FTX, notamment Ryne Miller, l’ancien avocat de FTX US, ou encore d’avoir utilisé un VPN, ce que lui interdisait son contrôle judiciaire.
« SBF » a également transmis au New York Times des extraits du journal intime de Caroline Ellison. Une manœuvre, selon la justice américaine, pour intimider ce témoin clé et faire pencher la couverture médiatique en sa faveur.
« Pomme pourrie »
Le procès de l’ancien patron de FTX représentait un moment charnière pour l’univers des cryptomonnaies, qui peine à se remettre de l’onde de choc générée par la chute de cette figure respectée.
Plusieurs entreprises fortement exposées à FTX ont été entraînées dans sa chute tandis que d’autres acteurs du secteur ont souffert de la crise de confiance qui a découlé du scandale.
« L’industrie veut maintenant dépeindre SBF comme une pomme pourrie, mais l’implosion de FTX a mis en évidence de nombreux problèmes endémiques à l’ensemble de l’industrie des cryptomonnaies », expliquait Hilary Allen, professeure de droit à l’American University, interrogée par le Financial Times.
« Nombre d’entre eux étaient des pyramides de Ponzi », confirmait l’avocate Erica Stanford auprès de l’AFP, en référence à des systèmes d’investissement pyramidaux conçus pour escroquer les consommateurs par l’appât du gain rapide.
Le procès de SBF représentait également un premier grand test pour les autorités américaines dans leurs efforts pour mettre de l’ordre dans un secteur encore peu régulé.
La plupart des cryptomonnaies, y compris le bitcoin, l’unité la plus populaire au monde, reposent sur la « blockchain », une technologie de stockage et de transmission d’informations décentralisée, qui a donc tendance à fonctionner hors du radar des gendarmes financiers.
Plusieurs textes réglementaires sont en cours d’élaboration au Congrès américain, mais aucun n’a encore été soumis au vote, dans un contexte de fortes divisions entre républicains et démocrates, qui complique les espoirs de compromis.
En avance dans le domaine, l’Union européenne s’est de son côté accordée sur un projet de réglementation (MiCA), qui exige des plateformes plus de transparence et de rigueur.
AFP