Depuis plusieurs mois, les migrants marocains sont de plus en plus nombreux à documenter sur les réseaux sociaux leur traversée à la nage vers l’enclave de Ceuta. Les images de Chaimae El Grini, une Marocaine de 19 ans, tout sourire en combinaison et des palmes aux pieds débarquant sur le sol espagnol, sont devenues virales, cumulant des millions de vues. Une pratique controversée, qui enjolive la réalité et masque les dangers d’une telle traversée.
Chacune de ses vidéos cumule des centaines de milliers de vues. Ces derniers jours, les publications de Chaimae El Grini, une Marocaine de 19 ans, sont devenues virales sur le réseau social TikTok.
Sur son compte, le premier post épinglé atteint deux millions de vues, un record pour cette Marocaine suivie par plus de 124 000 abonnés. On y voit une photo postée le 21 août : Chaimae El Grini, cheveux mouillés, y apparaît souriante, vêtue d’une combinaison de plongée rose et grise, pochette en plastique autour du cou pour protéger son téléphone de l’eau. Elle lève le pouce en l’air en signe de victoire. Puis, trois clichés de la jeune femme dans les rues espagnoles, mini-jupe rouge, tee-shirt vert, chapeau en paille.
Et toujours ce large sourire.
La jeune femme originaire de Matril, dans le nord du Maroc, documente frénétiquement son exil vers l’enclave espagnole de Ceuta, qui représente avec Melilla les seules frontières terrestres avec l’Union européenne sur le sol africain.
Des images d’elle à l’arrière d’une fourgonnette en route vers la frontière maroco-espagnole, des vidéos la montrant sauter dans l’eau, puis avec une couverture de la Croix-Rouge espagnole sur les épaules, la carte de son trajet maritime…
Chaimae El Grini relate chaque détail de sa dernière traversée à la nage mi-août vers Ceuta, après quatre autres tentatives échouées.
Puis, elle raconte son quotidien dans l’enclave, posant souriante devant des bâtiments espagnols, dans les rues et dans ce qui semble être le centre d’accueil dans lequel elle est hébergée.
« Je n’encourage pas les autres à faire comme moi »
À l’instar de Chaimae El Grini, les jeunes Marocains – et plus largement Africains – n’hésitent plus à filmer leur tentative de traversée vers le sol espagnol, et à diffuser les images sur les réseaux sous les hashtags « Harragas » (terme qui signifie « brûleurs de frontières » en français et qui désigne les migrants maghrébins) ou « Ceuta ».
Les exilés y détaillent tout le processus : préparation du matériel (masque, combinaison, palmes), techniques pour se cacher des policiers marocains, mise à l’eau, parcours effectué à la nage… rien n’échappe aux utilisateurs.
Puis, les nouveaux arrivants diffusent des clichés paradant dans les rues de Ceuta, au son de musiques triomphales.
Ces récits enjolivés ne sont pas sans conséquences.
En montrant la traversée à la nage vers Ceuta de cette façon, les TikTokeurs omettent de raconter les risques et les drames qui peuvent se produire dans ces eaux. La distance qui sépare l’enclave espagnole du territoire marocain a beau être courte, le trajet n’en est pas moins risqué. Les forts courants et les rochers le long du rivage rendent le parcours particulièrement dangereux.
Sous les publications de Chaimae El Grini, certains utilisateurs l’accusent d’ailleurs d’encourager les Marocains à prendre la mer.
Une attaque qu’elle balaie d’un revers de main. « Je n’encourage par les autres à faire comme moi », se défend-elle dans une interview au média local El Faro de Ceuta. « [La traversée] était très difficile, il faut être un bon nageur pour y parvenir (…) J’ai eu beaucoup de difficultés car la mer était très agitée et elle vous emporte vers les rochers. Personne ne peut comprendre, sauf ceux qui ont déjà essayé. » Pendant cinq longues heures, la jeune Marocaine a dû nager sans s’arrêter pour atteindre son but.
De nombreuses arrivées cet été à Ceuta
Cet été, l’enclave de Ceuta fait face à un fort afflux de migrants irréguliers. Dans la nuit du dimanche 25 au lundi 26 août, quelque 300 jeunes, dont de nombreux mineurs, ont pris la mer dans la nuit, alors qu’un important brouillard s’était installé sur le littoral. Certains étaient munis de flotteurs.
La plupart ont été interceptés par la marine marocaine mais environ 80 rescapés ont atteint les eaux espagnoles.
Dimanche matin, les forces de l’ordre espagnoles avaient déjà dû faire évacuer la plage de Tarajal, à Ceuta, après que des migrants marocains, dont de nombreux mineurs, étaient arrivés sur les lieux à la nage, a rapporté El Faro de Ceuta. Les exilés s’étaient mêlés aux plaisanciers sur la plage.
Mi-août, environ 300 autres personnes avaient aussi pris la mer depuis le Maroc pour atteindre Ceuta.
Jusqu’en 2020, les traversées à la nage vers l’enclave espagnole étaient quasi inexistantes, mais se sont intensifiées ces dernières années.
« Avant, beaucoup de migrants voulant entrer à Ceuta et Melilla se cachaient dans les remorques, dans les camions, dans les voitures qui s’y dirigeaient. Mais avec la pandémie de Covid-19 et la fermeture des frontières terrestres, les candidats à l’immigration ont cherché de nouveaux moyens pour entrer dans les enclaves, comme la nage », expliquait en 2021 à InfoMigrants le chercheur marocain Ali Zoubeidi.
L’escalade des triples grillages de barbelés, qui séparent les territoires marocain et espagnol, est aussi devenue de plus en plus compliquée.
« Les contrôles espagnols et marocains se sont intensifiés autour des routes, de la zone terrestre et des grillages », ajoutait Ali Zoubeidi. Et puis grimper sur les barbelés entraîne souvent des blessures graves : il y a les chutes, les coups des policiers espagnols. Certains migrants préfèrent donc s’engager vers le large, contourner la jetée grillagée pour tenter d’atteindre les plages de Ceuta et Melilla, au péril de leur vie.
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