Le président américain Joe Biden a décidé mardi d’un embargo sur le pétrole russe. Quelques jours plus tôt, Washington avait rouvert les négociations avec le Venezuela. Ce rapprochement entre deux pays en froid depuis 2019 s’explique par la volonté nord-américaine de trouver des alternatives à l’or noir russe. Mais rien ne dit que Nicolas Maduro cédera aux sirènes d’une levée des sanctions américaines.
Les amis de mes ennemis peuvent-ils devenir mes amis ? Du moins temporairement. C’est ce que les États-Unis cherchent actuellement à savoir avec le Venezuela, allié traditionnel de Moscou, alors que le président américain Joe Biden a annoncé, mardi 8 mars, un embargo sur le pétrole russe.
Le président vénézuélien Nicolas Maduro et l’administration américaine ont confirmé mardi qu’une délégation nord-américaine de « haut rang » s’était rendue à Caracas ce week-end.
C’est une première depuis la rupture diplomatique de 2019 entre les deux pays. L’ex-président américain Donald Trump avait, à l’époque, accusé Nicolas Maduro de fraude électorale lors de la présidentielle au Venezuela, fermé l’ambassade américaine et ouvertement cherché à renverser le régime en reconnaissant Juan Guaido, alors président de l’Assemblée nationale, comme président légitime du pays et en imposant de lourdes sanctions économiques.
Calmer la panique boursière
Cette rencontre intervient alors que la Russie a lancé depuis près de deux semaines une guerre d’invasion en Ukraine. Quel rapport entre les combats qui font rage en plein cœur de l’Europe et les relations à quelques milliers de kilomètres de là entre Washington et Caracas ? Il s’agit de pétrole et, surtout, de l’embargo décidé par Washington sur les exportations russes d’hydrocarbures.
La Maison Blanche n’a pas caché ses intentions. L’administration américaine réfléchit à suspendre les sanctions qui pèsent sur le Venezuela en échange d’une reprise des exportations de pétrole vers les États-Unis dans l’intérêt de la « sécurité énergétique américaine », ont assuré les États-Unis. La délégation a aussi rencontré Juan Guaido afin de « discuter des intérêts de sécurité nationale de notre allié [nord-américain] », a affirmé le bureau du président autoproclamé et opposant à Nicolas Maduro.
« Il faut que les États-Unis fassent le plus de bruit possible autour de ces négociations pour rassurer les marchés financiers », assure Alexandre Baradez, analyste financier chez IG France, contacté par France 24.
Le bruit médiatique depuis la fin de semaine dernière autour de la volonté occidentale de couper le robinet à gaz et pétrole russe a semé un vent de panique sur les Bourses mondiales. « La réaction de lundi, quand le cours du pétrole a frôlé les 140 dollars [son plus haut niveau en dix ans], a été la somme de toutes les peurs des investisseurs entre l’impact économique de la guerre et celui d’un possible arrêt des importations de pétrole russe », résume l’analyste.
Les marchés financiers ont commencé à reprendre un peu des couleurs lorsque l’Allemagne a fait savoir, lundi, qu’elle était réticente à l’idée de se passer complètement des hydrocarbures russes. La perspective d’une initiative des États-Unis paraissait moins inquiétante que celle d’un monde privé de l’intégralité des cinq millions de barils de pétrole brut par jour russes (et plus de deux millions de barils de produits pétroliers raffinés par jour).
« Le facteur psychologique est très important ici. Si les investisseurs comprennent que les États-Unis cherchent une solution de rechange à plus ou moins court terme au pétrole russe, ils seront moins tentés de tout voir en noir, d’imaginer le scénario du pire qui pourrait faire grimper les prix du pétrole à 200 dollars ou plus », souligne Alexandre Baradez.
Le Venezuela, une alternative au pétrole russe ?
Encore faut-il savoir si le pétrole vénézuélien peut remplacer celui importé de Russie. En théorie, c’est le cas : « Les États-Unis ont importé environ 650 000 barils par jour de pétrole russe l’an dernier, ce qui correspond à peu près à ce qu’ils achetaient au Venezuela avant l’imposition des sanctions en 2019. Pour Washington, la Russie a servi de substitution au Venezuela, donc si les sanctions étaient levées, on pourrait penser à revenir à la situation d’avant 2019 », explique Igor Hernandez, spécialiste du secteur de l’énergie au Venezuela au Baker Institute de l’université Rice à Houston (Texas), contacté par France 24.
En pratique, la capacité vénézuélienne à répondre rapidement aux besoins américains en or noir est limitée. La crise économique qui frappe le pays et les sanctions américaines contre le secteur vénézuélien de l’énergie ont laissé des infrastructures en piteux état. « En 2021, la production de pétrole a été portée à entre 600 000 et 650 000 barils par jour en moyenne [contre 560 000 barils par jour en 2020], et il existe encore quelques marges de progression. Mais on est très loin des capacités de production d’avant 2019 », souligne Igor Hernandez. Avant les sanctions américaines, la compagnie pétrolière publique PDVSA (Petroleos de Venezuela SA) pouvait produire plus d’un million de barils par jour.
La compagnie aura du mal à monter en régime, d’abord et avant tout « parce qu’elle est très limitée dans sa capacité à utiliser l’argent des exportations pétrolières même si les sanctions venaient à être levées », note Igor Hernandez. PDVSA est très liée aux banques russes qui sont elles-mêmes soumises à des sanctions, ce qui complique la gestion de la trésorerie pour le groupe vénézuélien.
« Ils devront probablement avoir recours au secteur privé (banques, fonds d’investissement) pour financer leurs activités », estime Igor Hernandez. Mais qui va leur prêter de l’argent ? PDVSA est en effet encore loin d’avoir remboursé tous ses créanciers actuels. « Il faudrait aussi des signes crédibles que le gouvernement honorera tous les contrats que PDVSA signerait, et le régime Maduro n’a pas très bonne réputation dans ce domaine », rappelle le spécialiste du Baker Institute.
Il faudrait donc, probablement, que « les États-Unis eux-mêmes aident à la reconstruction du secteur pétrolier vénézuélien », note Alexandre Baradez. Ce qui serait une entreprise politiquement très risquée pour le président Joe Biden, tant Nicolas Maduro n’est pas en odeur de sainteté aux États-Unis, ni chez les républicains, ni parmi la plupart des démocrates.
Maduro prêt à trahir Poutine ?
Même si le pétrole vénézuélien recommençait à couler à flots, encore faut-il que Nicolas Maduro accepte de jouer le jeu américain. La levée des sanctions peut-elle suffire à convaincre le dirigeant vénézuélien ? En acceptant de vendre son pétrole à Washington, Caracas offrirait à Joe Biden la possibilité d’accentuer la pression sur Vladimir Poutine…
l’allié de Nicolas Maduro. Le Venezuela a, jusqu’à présent, été un soutien indéfectible du maître du Kremlin, et « il a reconnu l’indépendance des deux régions séparatistes du Donbass, quelques heures seulement après l’annonce de Vladimir Poutine », rappelle Maximilian Hess, chercheur américain qui a travaillé sur les relations entre la Russie et le Venezuela au Foreign Policy Research Institute, contacté par France 24.
Pour cet expert, « Nicolas Maduro va surtout chercher à savoir si ce que propose Washington peut l’aider lui et son cercle de proches. Si ce n’est pas suffisant, il préférera jouer la carte de la loyauté à la Russie, qu’il considère encore comme une assurance, au cas où la situation politique et sociale au Venezuela devenait trop dangereuse pour lui ».
Dans cette perspective, la levée des sanctions risque de ne pas suffire. « Nicolas Maduro sera bien mieux disposé si Joe Biden fait des concessions sur d’autres points, comme les différentes procédures judiciaires engagées aux États-Unis contre les membres du gouvernement vénézuélien et PDVSA », souligne Maximilian Hess.
La levée des sanctions n’en demeure pas moins une carotte non négligeable. « Elle permettra au Venezuela de rediriger une partie de ses exportations depuis la Chine vers les États-Unis, ce qui coûtera beaucoup moins cher [en frais de transport] et améliorera les finances du pays », note Igor Hernandez. Et puis, surtout, « étant donné que la Russie n’investit plus beaucoup au Venezuela depuis 2019, Nicolas Maduro n’a pas trop à craindre de mesures de rétorsion de la part de Moscou s’il accepte l’offre de Washington », estime le chercheur américain.
Pour les États-Unis, les négociations avec le Venezuela ne sont pas qu’une question de pétrole. « Il faut mettre ça en parallèle avec les actuels efforts américains pour finaliser un nouvel accord avec l’Iran. Qui visent certes à permettre aux Iraniens d’exporter à nouveau du pétrole, mais aussi à éloigner Téhéran du giron de Moscou », estiment les experts interrogés par France 24.
En d’autres termes, Washington a entrepris de tout faire pour isoler Moscou diplomatiquement sur la scène internationale. « Si les États-Unis arrivent à convaincre le Venezuela et l’Iran, ce serait un grand coup symboliquement », reconnaît Maximilian Hess. Mais les États-Unis ont déjà, d’après lui, réussi à faire très mal à la Russie en convainquant la Corée du Sud – « qui traditionnellement a toujours cherché à ménager Moscou » – Singapour et la Suisse à lâcher Moscou.
france24
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