Le Parlement péruvien a rejeté vendredi le projet de loi de la nouvelle présidente, Dina Boluarte, visant à avancer les élections générales. Le Pérou est plongé dans une grave crise politique, des manifestations sévèrement réprimées ayant fait 18 morts.
Largement discrédité dans l’opinion publique, le Parlement péruvien a refusé vendredi 16 décembre d’avancer les élections générales, alors que le pays est secoué par une grave crise politique. Des manifestations, sévèrement réprimées, ont fait 18 morts, et 5 000 touristes sont bloqués dans la célèbre région du Machu Picchu.
L’échec du projet de loi, déposé par un parti qui était jadis dans l’opposition à Pedro Castillo, le président destitué le 7 décembre, place la nouvelle présidente Dina Boluarte dans une situation difficile. Cela risque d’exacerber les tensions, alors que deux des principales revendications des manifestants étaient la tenue d’élections générales immédiates et la dissolution du Parlement.
La proposition visant à avancer le scrutin d’avril 2026 à décembre 2023, n’a recueilli que 49 voix (il en fallait 87 pour une majorité au 2/3 des 130 députés). Son approbation aurait raccourci le mandat des députés.
Dina Boluarte – ancienne vice-présidente qui a succédé à Pedro Castillo -, s’était engagée à avancer les élections pour tenter d’enrayer la contestation.
Appels à la démission
« L’étape suivante c’est la démission de Dina Boluarte, et une transition démocratique », estime la députée de gauche Ruth Luque qui s’est abstenue, précisant qu’elle préférait un référendum sur une « Assemblée constituante ».
« Mme Boluarte doit démissionner en raison du nombre de morts », a quant à elle estimée la députée centriste Susel Paredes, qui a voté pour.
En cas de démission de la présidente, son successeur constitutionnel est le président du Parlement, José Williams. Si lui renonçait, la présidence échouerait au président de la Cour suprême qui en revanche devrait alors organiser de nouvelles élections.
La présidente a réuni vendredi pour la deuxième fois en moins de trois jours le Conseil de l’État, qui comprend les chefs des trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire.
Selon un tweet du compte du ministère des Affaires étrangères, la présidente s’est entretenue par téléphone avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken, qui « a réitéré le soutien des États-Unis au Pérou » et a « proposé de continuer à soutenir le processus institutionnel démocratique » au Pérou.
Depuis la Colombie voisine, le président de gauche Gustavo Petro a estimé que c’était un « scandale » de voir « un président élu par le peuple en détention préventive ».
Les manifestations, qui demandent aussi la libération de Pedro Castillo et la démission de Dina Boluarte, se poursuivaient vendredi notamment à Arequipa (sud), Huancayo (centre), Cuzco (sud-est), Ayacucho (sud) ou Puno (frontière bolivienne).
Le bilan est désormais de 18 morts, selon le ministère de la Santé. Plusieurs victimes ont été tuées par balles, tirées par la police et l’armée. 147 personnes ont été arrêtées, selon une ONG de défense des droits de l’Homme.
État d’urgence
Le 7 décembre, le président déchu de gauche radicale Pedro Castillo, 53 ans, avait ordonné la dissolution du Parlement, qui avait peu après voté, à une large majorité, sa destitution pour « incapacité morale ».
Il avait été arrêté alors qu’il tentait de trouver refuge dans l’ambassade du Mexique.
Débordé, le gouvernement a décrété mercredi l’état d’urgence sur tout le territoire qui autorise l’intervention de l’armée.
« L’état d’urgence ne permet pas de protéger le droit à la vie », s’est inquiétée auprès de l’AFP la Défenseure du Peuple (médiatrice) Eliana Revollar, qui a déploré « huit morts en une journée (jeudi) », à Ayacucho.
Jeudi, les manifestants avaient tenté d’investir l’aéroport mais avaient été repoussés par l’armée.
Les soldats « ont été encerclés par la foule. Ils ont reçu l’ordre de menacer de tirer, puis de tirer en l’air mais plus tard, il y a eu des tirs tendus », a-t-elle dit.
En outre, six décès ont été recensés à la suite d’événements liés aux blocages routiers, notamment l’impossibilité de rejoindre un hôpital.
Quelque 500 personnes ont été blessées. Selon le ministère de la Défense, plus de 300 d’entre eux sont des membres des forces de l’ordre.
Début d’évacuation des touristes
L’aéroport de Cuzco, capitale touristique du pays, a rouvert dans l’après-midi, permettant le début de l’évacuation des touristes, selon des images diffusées par le ministère de la Défense.
Dans la matinée, Darwin Baca, maire de Machu Picchu, avait déclaré à l’AFP que « 5 000 touristes » étaient bloqués à Cuzco.
Au moins 622 touristes dont 525 étrangers parmi lesquels une quinzaine de Français sont bloqués sur le site même, selon un recensement de la municipalité. Le train, arrêté depuis mardi, est l’unique moyen moderne de se rendre à la citadelle depuis Cuzco, l’ancienne capitale de l’empire inca, à 110 km.
L’armée va envoyer samedi un hélicoptère qui assurera « quatre vols humanitaires pour le transfert des touristes » du Machu Picchu à Cuzco, selon la municipalité qui précise que priorité sera donnée aux familles avec « enfants et personnes vulnérables ».
Quelque 200 touristes, principalement des Nord-Américains et Européens, ont quitté la zone à pied, longeant la voie de chemin de fer pour rejoindre Ollantaytambo, à 30 km, où des bus les attendaient.
AFP